vendredi 8 novembre 2019

A l’ombre de Sainte-Philomène


Près de Gravelines, sur la route de Saint-Georges-sur-l’Aa, se dresse une curieuse petite chapelle édifiée par des marins en 1841. Dédiée à Sainte-Philomène, elle attire inévitablement le regard par sa forme ronde et son toit d’ardoises, peu commun dans la région. 
 
La chapelle, témoin d’une totale dévotion en la sainte est comme un fanal sur la route qui mène à mer. Le seul souci, c’est que la pauvre Philomène, la « petite sainte du curé d’Ars » n’est plus aujourd’hui reconnue par l’Eglise.


Une découverte tardive
 
En 1802, des fouilles sont entreprises sous l’autorité du Vatican dans la catacombe romaine de Priscille. L’on y découvre la sépulture d’une jeune fille fermée par trois briques portant l’inscription « LUMENA / PAX TE / CUM FI ». 
 
Les érudits jugent que deux briques ont été interverties : ils traduisent l’épitaphe par « La Paix soit avec toi, Philomène ». Un nom qui signifie « bien aimée ». Sur la tombe romaine, l’inscription est entourée d’une ancre, symbole d’espérance et de martyre, d’une palme pour le triomphe des martyres, de deux flèches, d’une lance et d’un lys, représentation de la pureté. Il n’en faut pas plus pour supputer que la jeune fille a été persécutée. 
 
De là à la canoniser, il n’y a qu’un pas ! A l’examen des restes, l’on constate que la jeune fille est morte à l’âge de 12 ou 15 ans, que le crâne a été fracturé. La fiole de sang desséché posée à son côté plaide en faveur de la thèse de la martyre. En 1805, ses reliques partent à Mugnano, près de Naples, où l’un des prêtres de la paroisse qui l’accueille rédige sa biographie en ne se fondant que sur les signes exposés sur la tombe. Selon lui, l’enfant a été martyrisée sous Dioclétien, et d’ajouter que vierge, elle aurait d’abord été percée de flèches, puis jetée dans le Tibre avant d’être décapitée par le glaive. 

Un récit hagiographique qui ne repose que sur bien peu d’informations incontestables. En 1827, le pape Léon XII offre à l’église où se trouvent les reliques les trois briques d’argiles scellant la tombe. La dévotion envers elle se développe rapidement, à la faveur de guérisons et autres miracles dont l’un au moins est constaté par le Pape Grégoire XVI. Il fait mener des enquêtes et finit par autoriser le culte de la sainte, d’abord célébrée le 10 août puis le 11 sous Léon XIII.

Sortie du calendrier en catimini…
 
Depuis le début du XXe siècle, la polémique fait rage dans les milieux autorisés, mettant en cause à la fois la méthode et les « révélations » de certains religieux à l’origine du culte. La vie de la Sainte elle-même ne repose sur rien de vérifiable ! Une sainte « inventée » à la façon romantique, voilà ce que pensent de plus en plus d’historiens et de théologiens, et même si l’infaillibilité pontificale a été engagée dans le procès en canonisation, le doute est bien trop important. Son culte est de plus en plus sujet à caution sauf, peut-être, chez ses paroissiens. 
 
En 1961, l’Eglise catholique entreprend de faire le ménage dans le martyrologe romain. C’est le moment de faire le tri entre saints, bienheureux et autres martyres. La Sacrée Congrégation des Rites supprime la fête de Sainte-Philomène du calendrier liturgique car les certitudes sur la sainte sont plutôt ténues. 
 
D’ailleurs, rien ne semble indiquer qu’elle soit le corps correspondant à l’inscription. De plus, une brique découverte un peu plus tard change la phrase en « filomena théou », aimée de Dieu… Plus un nom mais un qualificatif. Le doute est d’autant plus fort que lors des inhumations, on n’hésitait pas à bouger les restes, ni à employer les matériaux plus anciens comme les briques qui ferment les niches où sont déposés les défunts. Pour nombre de chercheurs, le corps de Philomène ne remonterait pas au-delà du IVe siècle : pour les premiers chrétiens, il était de bon temps de reposer au milieu des restes des premiers croyants, et ce même si les persécutions s’arrêtent en 313 avec l’édit de Milan.

Si elle n’est plus officiellement fêtée, Philomène continue de faire l’objet d’un culte fervent notamment à Naples, toujours comme sainte-patronne du Rosaire Vivant et des enfants de Marie.

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