in Général J. Armengaud - Le Drame de
Dunkerque (mai-juin 1940), éditions PLON, Paris 1948,
" L'un des éléments
essentiels de la défense repose sur le réseau d'inondations.
Dans le domaine, le Commandement
a eu la prévision heureuse. Une étude très complète avait été faite par le
Génie de la 1ere Région, avec la conscience minutieuse qui caractérise cette
arme, sous la direction du colonel Cousin.
Le plan de mobilisation avait
réservé la possibilité de mettre en œuvre les inondations en mobilisant sur
place à cet effet M. Macarez, ingénieur des ponts et chaussées du port de
Dunkerque.
Le projet du colonel Cousin
prévoyait l'inondation des zones basses dans la région des Moëres, dans la
région de la Colme (au nord du canal à l'est de Bergues, au sud du canal à
l'ouest de cette ville) et dans la région de l'Aa. A signaler que la mise en
eau de la riche dépression des Grandes Moëres était évitée; une nappe
périphérique était tendue dans l'intervalle séparant la digue de ceinture
(Ringsloot) du canal des Chats entre Uxem et Ghyvelde.
Pour épargner à la terre des
Flandres la désastreuse imprégnation marine, l'inondation devait être réalisée
par fermeture des écluses à marée descendante afin de provoquer l'accumulation
progressive de l'eau douce amenée par l'Aa et quelques ruisseaux. Un délai de
six semaines était nécessaire. Dès l'automne de 1939, il apparut à l'Amiral
Nord que ce délai était trop long et qu'il convenait de préparer le recours
éventuel à l'eau de mer. De plus, il fut décidé que l'inondation serait étendue
aux Grandes Moëres. Telles furent les bases sur lesquelles, pendant l'hiver de
1939-1940, furent conduits les travaux préparatoires dirigés par l'ingénieur
Macarez disposant de son personnel et de la main-d’œuvre fournie par le
Groupement de défense du littoral Nord (général Tancé) devenu en janvier la 68e
D.I. (général Beaufrère). Six prises d'eau aménagées le long du Ringsloot
rendirent possible l'inondation des Grandes Moëres. Les derniers préparatifs
ont été faits après le 10 mai, pendant que commençaient les opérations
défensives.
En raison des répercussions que
pouvait avoir une aussi grave mesure sur le déroulement des opérations
terrestres, la mise en œuvre des inondations devait être ordonnée par le
généralissime (ou par le général commandant le G.A.1 qui avait reçu la
délégation nécessaire).
Le 20 mai au matin (Note; message
de l'amiral commandant en chef à l'amiral Nord, 20 mai 6 h 50), l'ordre
parvient à l'amiral Nord, par l'intermédiaire de l'amiral commandant en chef
les Forces maritimes. L'ingénieur Macarez reçoit des instructions dans
l'après-midi. Il y a une extrême urgence et il faut immédiatement provoquer
l'invasion de l'eau de mer.
L'inondation marine du secteur de
l'Aa ne sera pas effectuée, la manœuvre des portes de marrée ne pouvant se
faire sous le feu de l'ennemi qui atteint le cours inférieur du fleuve le 23
mai (Colme et Moëres), le mécanisme préparé se déclenche et fonctionne, en
gros, suivant les prévisions. Avec l'aide initiale d'hommes de la 272e
Demi-brigade, le personnel des Ponts et Chaussées réalise progressivement cette
vaste et délicate opération, ouvrant et fermant les vannes dans les chenaux
d'accès de manière à entretenir un courant suffisant sans le laisser devenir
dangereux, tout en ne disposant comme moyens de liaison que de bicyclettes. La manœuvre
des portes de l'ouvrage Tixier, qui à l'extrémité du canal exutoire commande
l'accès du flot marin est dirigée par le jeune ingénieur auxiliaire Decodt, qui
assure sous les plus violents bombardements un service difficile mais
d'importance capitale.
L'eau de mer peut être envoyée
immédiatement dans le secteur des deux Moëres, où il n'y a pas de bateaux à
évacuer. Elle emprunte le canal exutoire, le siphon des Moëres (sous le canal
de Furnes), les canaux des Moëres et de Coudekerque.
Le 22 mai, l'eau de mer peut être
admise également dans le secteur du canal de la Colme, après évacuation des
bateaux et mise en place des batardeaux.
Dès le 23 mai, après la cinquième
marée, l'eau apparaît en nappes entre Bergues et Ghyvelde. Dans cette région,
la cote maximum est atteinte le 25 mai. Le 26 mai, on manœuvre les vannes de
prise d'eau du Ringsloot commandant l'inondation des Grandes Moëres, dont la
cuvette se remplit les jours suivants.
Dans le secteur de la Haute
Colme, au sud-ouest de Bergues, la cote maximum est atteinte le 28 mai.
Il est certes regrettable que les
immersions de terrains prévues dans la vallée de l'Aa n'aient pu être
réalisées. Dans la journée critique du 24 mai, il eût été plus facile à nos
éléments avancés de résister au premier chic des unités blindées et motorisées
ennemies.
En revanche, le résultat escompté
est obtenu dans les autres secteurs. Au sud du canal de la haute-Colme dans la
zone inondée, recouverte de quelques dizaines de centimètres d'eau, s'étend parallèlement
au canal, enfonçant vers le sud des pointes dans les amorces de thalwegs. Plus
à l'est, on trouve d'abord, entre Bergues, Coudekerque et Notre-Dame des Neiges
(sud de Téteghem), une lagune circulaire où la profondeur varie de 20 à 50
centimètres. Au-delà de Notre-Dame des Neiges, qui marque un seuil, s'étend sur
8 kilomètres jusqu'à Ghyvelde une vaste plaine liquide, difficilement
franchissable hors des chaussées. La profondeur de l'eau atteint 50 à 60
centimètres en dehors des Grandes et des Petites Moëres, qui, revenues à l'état
lacustre, ont vu leurs riches cultures noyées sous 1 m. 50 d'eau salée.
Dès la journée du 27 mai, les
inondations de la haute-Colme ont joué leur rôle, créant entre le secteur de
l'Aa et le secteur de Watten une zone détrempée qu'ont évitée les attaques
allemandes et qui a permis aux débris du 3/137 de retarder l'heure de leur
capture. Devant la position de résistance de la tête de pont, l'invasion marine
rend difficilement praticable une partie importante de terrain, obligeant
l'ennemi, de Château-Afgand à Ghyvelde, à porter son effort sur les rares
seuils non inondés (Grand Millebrugghe, Bergues, Notre-Dame des Neiges) et sur
les routes, qui, construites en chaussée, dominent tous les miroirs d'eau.
A côté des inondations, la
fortification vient apporter à la défense une aide non négligeable. Ne
rappelons que pour mémoire les ouvrages de fortification permanente (batteries
et forts) armés par la Marine (...). De construction généralement ancienne,
situés à courte distance de Dunkerque, ce sont de simples nids de batteries et
de matériels de D.C.A. pouvant servir de P.C. et d'abris.
Sur la ligne de feu où va se
jouer le sort de l'opération engagée, la vieille forteresse déclassée de
Bergues montrera que, devant les moyens de combat modernes, les épaisses
murailles et les larges fossés ne sont pas dépourvus de valeur. A l'extrême
gauche de la tête de pont, sur les 3 kilomètres qui s'étendent entre Ghyvelde
et la mer, la position de résistance sera installée dans la "position
frontière", réalisée sous la forme semi-permanente pendant les premiers
mois de la guerre. "
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