In Emile Carlier - «Mort
? Pas encore ! Mes souvenirs 1814-1918
par un ancien soldat du 127e R.I.», Archeologia Duacensis, Société
Archéologique de Douai, 1993
(Emile Carlier est né à Valenciennes en 1882 et décédé en
1947)
« Le 21 août
1917
Nous arrivons à Quaëdypre qui nous est assignée comme
cantonnement. Quaëdypre est une charmante commune des Flandres, située à
quelques kilomètres de Bergues sont les quatre clochers dominent la région.
Les états-majors de l’I.D. et de la D.I. sont à Quaëdypre,
le 127e à Warhem, le 327e à Socx, le 43e à
Bissezeele. Il est toujours désagréable pour nous de nous trouver dans le même
cantonnement que la division. Nous sommes un peu les parents pauvres et nous
devons nous contenter comme logements de ce que les autres veulent bien nous
laisser. Nous nous installons tant bien que mal dans un moulin abandonné.
Quaëdypre, comme toutes les communes des Flandres, possède une belle et vaste
église, où l’on trouve plus de richesses et de dorures que de goût. Il y a
toutefois comme à Warhem de magnifiques boiseries qui font l’admiration des
connaisseurs. La population est très croyante et le dimanche aux offices malgré
sa grande étendue, la nef est entièrement remplie par la foule des soldats et
des habitants. Notre repos sera de longue durée, aussi j’aurai tout le loisir
de visiter la région.
La ville de Bergues est à peu près intacte, à part quelques
maisons jetées à bas par le canon à longue portée ou les bombes d’avions. Aucun
de ses monuments n’est touché et ce serait grandement dommage ! Voici les
tours de Saint-Winoc, l’église flamande dont la tour massive contraste étrangement
avec le svelte et élégant beffroi, l’hôtel de ville renaissance à la façade
duquel j’admire un beau buste de Lamartine, ancien député de Bergues, inauguré
quelques mois avant la guerre, enfin la gendarmerie, curieuse maison de
l’époque espagnole. Bergues n’est plus la cité tranquille et endormie que j’ai
connue jadis. Du fait de la guerre, elle a pris une importance considérable. Il
y a une telle circulation dans les rues qu’on a dû interdire aux automobiles
militaires de traverser la ville. Des quantités de nouveaux magasins se sont
ouverts, des coopératives militaires ont été créées. La ville est occupée par
de nombreux états-majors, les services de l’intendance. C’est un va-et-vient
continuel de plantons, de cyclistes, de motocyclistes. C’est de Bergues que
partent tous les permissionnaires et c’est là également qu’ils débarquent en
revenant de permission. De nombreux baraquements ont été construits derrière la
gare pour les permissionnaires partant. Lors du retour, on se rend à la peu
hospitalière caserne Leclercq où l’on gèle littéralement. Bon nombre de
carreaux manquent aux fenêtres et aucune couverture n’est mise à la disposition
pour passer la nuit.
Les Anglais ont créé une nouvelle ligne de chemin de fer,
qui va de Bergues à Roesbrugge, et il existe, en outre, un service de camions
automobiles, pour les localités que ne dessert pas la voie ferrée. Un camp de
prisonniers allemands a été installé aux portes de la ville et les prisonniers
sont employés aux services de la voirie, à l’entretien des routes et des lignes
de chemin de fer.
Je vais à Dunkerque, Malo-les-Bains, Malo-centre et
Malo-Terminus.
Ici, l’impression est tout à fait différente. On a tellement
parlé des bombardements de la région de Dunkerque par avions, navires de
guerre, canon à longue portée que je m’attendais à trouver une ville en ruines.
Somme toute, je retrouve Dunkerque à peu près comme je l’ai connue jadis,
l’animation en moins. Çà et là des maisons éventrées, des carreaux cassés, des
bandes de papier croisées aux vitres de tous les immeubles. Il paraît que cela
atténue les secousses et les trépidations des bombardements. Tous les monuments
sont intacts, à part l’église Saint-Eloi dont la toiture crevée a été
recouverte de carton bitume. Des magasins, des cafés, des hôtels sont restés
ouverts. Quelques tramways électriques circulent encore. La ville n’est pas
morte, mais que nous sommes loin du Dunkerque joyeux, animé, débordant de vie
et d’activité tel qu’il existait avant la guerre, pendant la saison balnéaire.
Sur la plage de Malo, l’impression est plus navrante encore.
La digue est déserte. Toutes les villas sont fermées. Le casino a été coupé en
deux par un 380. Des réseaux de fils de fer barbelés et des tranchées courent
sur la grève et travers les dunes. C’est en vain que l’on cherche la foule des
baigneurs, les cabines de bain aux couleurs voyantes et bariolées, les
marchands de plaisir, les troupeaux de petits ânes qui faisaient autrefois la
joie des enfants. La plage est devenue maintenant la propriété des soldats anglais
et français. Les uns se baignent. D’autres font l’exercice et procèdent à des lancements de grenades.
Au-delà de Malo, nous tombons en plein secteur anglais. Le
sanatorium de Zuydcoote est converti en une immense ambulance où sont soignés
les blessés anglais, belges et français. Un important camp d’aviation a été
créé dans les environs du village. L’ancienne tour de l’église, enlisée au
milieu des dunes, sert maintenant d’observatoire pour la D.C.A. Le poste est
tenu par les R.A.T. du 1er régiment d’artillerie de forteresse que
commande un de nos sympathiques concitoyens, M. joseph Parent, de
Neuville-sur-l’Escaut. Je fais l’ascension de la tour. La vue est splendide, on
voit distinctement les tours de Furnes et l’estacade d’Ostende.
Je n’oublie pas, dans mes pérégrinations, d’aller visiter la
petite ville d’Hondschoote. J’admire la belle flèche de l’église et le vieil
hôtel de ville converti maintenant en corps de garde et sur lequel flottent les
drapeaux français, belge et anglais. Hondschoote est le siège du G.Q.G. belge
est d’un état-major anglais. Piquant contraste. Au milieu de la place se dresse
un monument destiné à commémorer la victoire française de 1793 remportée par le
général Houchard sur l’armée anglaise. Maintenant des Ecossais défilent pacifiquement
devant la statue et le poste sort en armes du corps-de-garde pour rendre les
honneurs à un général anglais.
Entre Hondschoote et Killem se trouve un camp d’aviation
français qui abrite en ce moment la célèbre escadrille des cigognes, commandée
par le capitaine Guynemer. Les soldats du 1er corps, dont un grand
nombre sont originaires de la région, sont enchantés de tenir le secteur des
Flandres. Tous les dimanches, des permissions de 24 heures sont accordées aux
unités de repos. »
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