Dunkerque, port connu pour les exploits des corsaires du Grand Siècle puis pour les combats du rembarquement du Corps expéditionnaire britannique lors de l'Opération Dynamo est avant tout un port commercial... Port de pêche, point d'approvisionnement, il a connu une impulsion décisive avec Trystram, Guillain et Freycinet. Leurs décisions, en commun accord avec la Chambre de Commerce et la municipalité, ont façonné l'espace portuaire tel que nous le connaissons aujourd'hui (exception faite de la dernière darse inaugurée pendant la Grande Guerre et la création du bassin d'évolution où se sont implantées les industries lourdes dans les années 1950). Cet article, édité en 1911, offre un point de vue du plus haut intérêt sur cet instant charnière qu'est l'immédiate avant-première guerre mondiale. (l'iconographie associée provient de mes archives)
In Bulletin de l’Union
Faulconnier, imprimerie Chiroutre-Gauvry, Dunkerque, 1911, 464 pages
M. Paul de Rousiers fit paraître
l’an dernier à la librairie Armand Colin, à Paris, une remarquable étude sur
les grands ports de France.
Une gracieuse autorisation de
l’éditeur nous permit d’en reproduire un large extrait concernant
Dunkerque ; nous sommes heureux de le soumettre aux lecteurs de l’Union Faulconnier.
I
La région française du Nord et son issue naturelle vers la mer
Ce sont en général les grands
fleuves navigables qui donnent naissance aux ports de mer. Dans la France
agrandie de toutes les Flandres, Anvers était destinée à devenir notre grand
port sur la mer du Nord ; mais coupé d’Anvers par la frontière, le Nord
industriel et agricole devait arriver à créer son port régional sur la côte
française. Il avait le choix entre Boulogne, Calais et Dunkerque. Dunkerque
l’emporta par ses avantages supérieurs.
II
Un port français sans emploi
De tout temps Dunkerque avait été
un havre réputé. Elle le devait en partie à la présence de six bancs de Flandre
qui forment une rade allongée et profonde, refuge assuré dans ces mers
dangereuses par les deux passes de l’Ouest et de Zuydcoote.
Approfondi et agrandi au XIIIe
siècle par les Comtes de Flandre, ce port accomplit sous Louis XIV de si grands
progrès qu’il excita chez nos voisins une telle jalousie qu’à chacune de nos défaites,
sa destruction est une des conditions qu’on nous impose. Il faut arriver à la
Paix de Versailles, en 1783, pour voir s’ouvrir une ère de relèvement
définitif.
Mais le rôle de Dunkerque est
extrêmement amoindri par la suppression, en 1794, de ses franchises. A ce
moment, Dunkerque cesse d’être un port franc et son négoce en éprouve une
atteinte sensible. A la veille de la Révolution, Lille n’avait que 57 maisons
de commerce, Dunkerque en possédait 130. Cette supériorité se serait sans doute
confirmée et nous aurions eu une place importante de commerce si Dunkerque
avait pu se développer dans les mêmes conditions que certaines de ses rivales,
soustraites aux multiples entraves des Douanes ; mais les idées alors
régnantes s’opposaient au maintien du privilège et Dunkerque fut sacrifiée. Ne
pouvant plus être un lieu de distribution et d’échanges maritimes, n’étant pas
un centre industriel, elle se trouva réduite à son port et à ses marins.
Dunkerque eut d’excellents
marins : seulement elle n’en avait guère l’emploi elle-même que pour la
course et la pêche.
C’est pourquoi Dunkerque occupe
un rang si modeste dans notre commerce maritime. En 1806, le mouvement ne
représentait que 10.741 tonnes de jauge ; en 1820, environ 100.000 ;
en 184, elle n’atteignait pas 200.000 tonnes. Cependant au cours de cette
période, de 1785 à 1845, quinze millions avaient été dépensés et en 1845, une
nouvelle dépense de huit millions était décidée pour transformer en bassins à
flots l’arrière-port et l’ancien port d’échouage.
Pendant ce temps, les
manufacturiers du Nord de la France avaient commencé la transformation de leur
outillage. Mais le contact entre la région industrielle et Dunkerque était
imparfait ; la profondeur des canaux, la dimension des écluses était
variable, ce qui nuisait grandement à la circulation.
le port en 1890
III
La région en contact avec le port
Ce fut en 1848 que la ligne de
Lille à Dunkerque fut mise en exploitation. En 1850, nous ne trouvons encore
que 310.000 tonnes de jauge et 260.000 tonnes de marchandises, mais dix ans
plus tard, en 1860, ces chiffres s’élèvent à 546.000 et 484.000 respectivement.
L’exécution du programme de 1879
favorisa très notablement le trafic de Dunkerque en assurant la circulation des
bélandres dont l’uniformité est aujourd’hui absolue. Ce sont des chalands et 38
m. 50 de long et de 1 m. 80 de tirant d’eau qui peuvent charger 300 tonnes de
marchandises à très bon marché : une tonne de charbon de Lens à Dunkerque
pour 0 fr. 80. De plus, la bélandre peut accoster le navire dans le port et
transborder sans déchargement à quai.
En 1880, le mouvement par
l’écluse de l’arrière-port, la seule existante, se chiffrait par 389.103 tonnes
de marchandises (entrées et sorties). En 1884, l’écluse de la darse I est en
service et le poids des marchandises s’élève à 600.000 tonnes. En 189, le 3
août, une troisième écluse darse II est inaugurée et dès 1891 la statistique
accuse près d’un million de tonnes. Depuis lors, nous retrouvons de un million
à 1.250.000 tonnes.
Ils seront bientôt dépassés sans
doute avec l’amélioration des communications entre Dunkerque et l’Escaut. Car
l’Escaut attire forcément les marchandises d’exportation vers Anvers. M.
Guillain dans un lumineux rapport (n°2773, Chambre des députés, séance de
1901), montra avec force la nécessité de ce travail.
Un bon système de canaux peut
drainer la région du Nord et aussi capter les sources si abondantes de trafic
de la région Nord-Est devenue notre grand centre métallurgique français. La
Meuse comme l’Escaut attire vers les ports de la Belgique et de la Hollande
cette exploitation qui peut être dirigée vers Dunkerque.
Il suffit que les fontes et les
aciers de Meurthe-et-Moselle trouvent une voie navigable aboutissant à l’Escaut
et rencontrent là le canal élargi qu’on réclame. De là est sorti le projet de
loi du 1er mars 1901 relatif au canal du Nord-Est. Ce canal se
composait de deux tronçons se complétant : 1° le canal de la Chiers allant
de Longwy à la vallée de la Meuse ; 2° le canal de la Meuse à l’Escaut.
Comme toute voie qui répond à des
besoins généraux, celle-ci est ardemment souhaitée par les intéressés. Les
maîtres de forge de Longwy le désirent et elle profiterait à l’ensemble du
pays.
Actuellement le port de Dunkerque
est à 374 kilomètres de Longwy par le fer, Anvers en est éloigné de 265, la
lutte est impossible. Avec le canal du Nord-est, la voie d’eau entre Dunkerque
et Longwy serait de 445, d’Anvers à Longwy de 425 mais la différence en faveur
d’Anvers serait compensée par les difficultés que présente la Meuse à la
navigation fluviale ; la concurrence serait possible. Les avantages de la
voie d’eau sur la voie ferrée sont considérables pour les houilles et très
sensibles pour les cokes, au profit des mines françaises. Les mines du bassin
de Briey pourraient envoyer aussi plus économiquement leur minerai aux
hauts-fourneaux du Nord et du Pas-de-Calais. Longwy recevrai par Dunkerque les
minerais espagnols à 2 fr. 12 de moins que par la voie ferrée.
Le canal du Nord aurait pour
résultat d’agrandir très largement l’arrière-pays de Dunkerque et d’en faire le
point d’aboutissement de nos plus grands centres agricoles, miniers, textiles
et metallurgiques.
IV
Dunkerque, port régional
Quelques géographes arriérés
qualifient encore Dunkerque « port de pêche » au scandale non
dissimulé de ses habitants. Elle n’était pas plus que cela, en effet, au début
du XIXe siècle après la suppression de la franchise. Mais la grande pêche
d’Islande va chaque jour en diminuant.
Il existe bien à Dunkerque et
envions un certain nombre d’industries : trois huileries, une rizerie,
cinq minoteries, une raffinerie de pétrole, cinq filatures de jute ou de coton,
une raffinerie de soufre, cinq scieries mécaniques, un chantier de
constructions navales, mais les matières premières qu’elles importent et les
produits exportés tiennent peu de place dans l’activité du port. Ce n’est pas à
Dunkerque qu’il faut chercher l’explication des progrès du port, car Dunkerque
est située dans une région absolument agricole. – Le samedi, jour de marché,
les fermiers affluent en ville, des flamands calmes parcourent les rues sans
hâte tandis que, plus loin, au port, règne une véritable activité et le
contraste s’affirme entre la ville paisible et le port affairé.
C’est que le port est un
organisme régional et non pas seulement local, et le tableau des marchandises
passant par Dunkerque en est la preuve indéniable. En sortie, le sucre fournit
110.000 tonnes. L’agriculture, plus de 62.000 tonnes en fourrages, pommes de
terre, céréales, fruits et graines provenant de points éloignés, l’Aisne,
l’Oise. Nous trouvons 70.000 tonnes de charbon, 73.000 tonnes de métaux, 47.000
tonnes d’ouvrages en métaux, soit 190.000 tonnes de produits non représentés à
Dunkerque. L’industrie locale n’exporte que des farines (14.000), des huiles,
ciments, phosphates, fils et tissus, ensemble 73.000 tonnes.
Notre industrie et notre culture
françaises sont peu en mesure d’expédier des quantités de marchandises
lourdes : mais Dunkerque pourrait expédier aisément quatre fois plus de
produits français.
En somme, Dunkerque importe près
de 2.800.000 tonnes (1907) ; (2.680.000 tonnes de l’étranger, 116.488
tonnes du cabotage), et n’exporte que 618.000 tonnes.
Ce manque d’équilibre serait
fâcheux pour Dunkerque, car les navires hésiteraient à venir dans un port où
ils ne seraient pas sûrs de trouver un fret de sortie les ports à charbon
anglais n’étaient pas à une faible distance. A l’entrée, la plus grande
quantité de marchandises importées est destinée à l’intérieur du pays.
Dunkerque ne retient guère que 130.000 tonnes de bois communs, 21.000 tonnes de
pétrole raffiné sur place, plus ce qui est destiné à sa rizerie, à ses
huileries, malteries et distilleries locales. Notons comme passant par
Dunkerque sans rien y laisser 307.000 tonnes de minerais de fer, plomb, zinc,
manganèse pour Denain et Anzin, Isbergues ; 73.000 tonnes de pyrites
espagnoles pour Lille, 189.000 tonnes de nitrate de soude, 132.739 tonnes de
laines pour Roubaix, 46.363 tonnes de lins pour Armentières. Dunkerque reçoit
76% des nitrates, 56% des laines étrangères, 91% des lins, exporte 38% des
sucres, 36% des alcools.
Placés ainsi devant une vaste
région industrielle et commerciale, il semblerait que les Dunkerquois n’aient
eu qu’à se croiser les bras et attendre les heureuses circonstances. En
réalité, ils ont fait des efforts pour mettre au service des producteurs
l’instrument qu’il leur fallait. Et encore de nos jours il leur faut soutenir
constamment cet effort pour se mettre en harmonie avec le progrès.
ca. 1900
V
Le port actuel insuffisant pour la région
Avant la création des chemins de
fer, l’Etat avait fait quelques sacrifices pour le port le plus septentrional,
notre meilleur port sur la mer du Nord et puis, circonscription électorale, il
avait le droit de ne pas être oublié dans la distribution des faveurs
budgétaires. En 1845, l’établissement des premiers bassins à flot fut décidé.
Déjà le phare avait été construit, le chenal approfondi, mais ces travaux étaient
à peine justifiés. Dunkerque était en avance sur les besoins commerciaux.
Au contraire, depuis 1848 et les
chemins de fer, Dunkerque s’est trouvé toujours en retard sur l’essor de son
arrière-pays. Aujourd’hui encore ses bassins sont trop étroits et ses quais
encombrés.
Les droits de quai perçus par
l’Etat dépassent cependant par an plus d’un million (1.044.687 francs en 1907
sur 9.713.860 francs, ensembles droits perçus dans tous les ports français).
Dunkerque présente actuellement
8.688 mètres de quais dont 1.902 dans l’avant-port et 3.786 dans les bassins,
mais il est facile de voir qu’ils sont absolument insuffisants ; nulle
place pour les engins spéciaux pour élever les grains, pour les charbons, les
sucres. A peine peut-on satisfaire aux demandes des lignes régulières.
En 1861, le second bassin à flot
fut décidé ; en 1879, MM Trystram et de Freycinet firent voter une loi
accordant 50 millions pour l’agrandissement du port. Depuis fut établie la
grande écluse Trystram. Enfin une loi de 1903 (24 décembre) déclara d’utilité
publique une série de travaux s’élevant à 26 millions de francs (note :
une cinquième darse vient d’être votée donnant avec le prolongement des darses
2 et 4, près de 2.500 mètres de quais en plus).
VI
Outillage du port
Tous les travaux exécutés à
Dunkerque ne sont pas à la charge de l’Etat. La Chambre de Commerce et la
Municipalité parfois supportent une large part couverte par des taxes de péage
autorisées par l’Etat. C’est ainsi qu’en 1868 elles avancèrent une somme de 12 millions.
En 1879, elles s’engagèrent à payer 15% des dépenses ; en 1890, la Chambre
prend à sa charge 4.500.000 francs sur 4.900.000 pour l’élargissement du
chenal ; en 1903, la Chambre et la ville votent 8.000 000 pour les
travaux.
En tenant compte que sur les
derniers 26 millions, 11 millions sont absorbés pour le déplacement des
fortifications, la contribution de la ville et de Chambre de Commerce s’élevait
à 68%.
De plus, la Chambre exploite la
plus grande partie de l’outillage du port, que nous pouvons établir comme
suit : 2 grues flottantes dont une de 40 tonnes et une de 10 tonnes, 37
grues roulantes mues par l’eau de 1.500 à 3.000 kilos, 16 hangars (genre
Galerie des Machines) couvrant 31.498 mètres carrés, mais revenant à 70 francs
le mètre-carré par suite de la tutelle des Ponts et Chaussées au lieu de 27 à
Anvers. Le vaste entrepôt des laines a coûté 1.200.000 francs, on aurait pu le
construire pour 750.000, paraît-il, sans nuire à sa solidité. Il existe
également des entrepôts des sucres.
Les entrepôts de Dunkerque
résolvent bien le problème de leur destination, mais leur coût est trop élevé.
Chaque entrepôt des sucres peut contenir 250.000 sacs et on peut encore
utiliser, le cas échéant, celui des laines. Ils paient une taxe de 0 fr. 60 par
tonne le premier mois et de 0 fr. 35 par quinzaines suivantes pendant trois
mois et 0 fr. 50 par quinzaine au-delà de quatre mois. La Chambre de Commerce
délivre à tout déposant qui le demande, un warrant transmissible par
endossement. Les tire-sacs sont mus par l’eau.
Malgré les grues hydrauliques,
Dunkerque compte encore 4.000 ouvriers du port.
VII
Les Ouvriers du port
C’est un rude métier que d’être
ouvrier au port de Dunkerque. Les charges de 100 kilos sont considérées comme
légères ; elles atteignent parfois jusque 180 kilos pour les nitrates. Et
on se remue vite. Vous ne trouverez guère ici le type courant du docker de
Londres, Hambourg, l’inemployé qui se dirige vers les docks pour rencontrer de
l’ouvrage ; ici, l’ouvrier du port est presque toujours une sorte de
spécialiste.
La raison de cette différence est
dans la nature des marchandises manutentionnées. A Londres, Liverpool,
Hambourg, les dockers qui déchargent les bois d’ouvrage, céréales, charbon,
nitrates sont eux aussi des sortes de spécialistes. Et ici, les nitrates,
minerai, phosphates, ciments, craies et marnes, charbons, grains et bois,
dépassent la moitié du mouvement commercial. Les ouvriers spéciaux dominent
forcément et vers 50 ans, un déchargeur se rabat sur des chargements moins
fatigants, et comme il est connu, il trouve plus aisément de l’emploi et il
reste peu de place pour l’ouvrier d’occasion.
Les ouvriers du port forment un
corps à part, car Dunkerque n’étant pas un grand centre industriel, il ne se
trouve pas cette masse flottante d’ouvriers errant d’un métier à l’autre.
L’organisation du travail
contribue aussi à renforcer ce lien. Plus de la moitié des déchargements
s’exécutent à la tâche et par équipes. Les membres d’une même équipe sont
solidaires ; un camarade moins fort, moins agile, est une cause de retard
ou de perte. De là une camaraderie particulière entre ces hommes habitués à
travailler ensemble et une certaine fixité dans la composition des équipes. De
plus, les entrepreneurs avaient aussi l’habitude de s’adresser aux même personnel,
surtout pour les marchandises spéciales.
Un ouvrier travaillait depuis
douze ans pour la même maison. L’ouvrier est ainsi un de ces
« permanents » qui portent le nom de « premiers de maison ».
Certains travaillent jusqu’à 250 jours par an. En fait, sorte de corporation
fermée, ils ne peuvent être remplacés aisément.
Naguère existait une corporation
privilégiée : les « Tient-bon » (note : ce nom venait de
cette expression souvent employée par eux dans la manipulation des
marchandises). On achetait le droit d’en faire partie. Une place se payait
jusqu’alors sept mille francs. La ruine des « Tient-bion » fut subite
et complète, car elle n’avait de valeur que par la préférence que la Compagnie
du Chemin de fer, la trouvant installée au port, lui avait donnée et continuée.
Les « Tient-bon » étaient les « premiers de maison » de la
Compagnie ; ils gagnaient 4 à 5 francs par jour mais ne connaissaient pas
de chomage. Un jour, la Compagnie ayant consentie une réduction de tarif, ne
voulut plus prendre à sa charge aucun frais de chargement et de
déchargement ; le privilège fut réduit à néant et il ne leur restait plus
que la valeur de l’outillage estimé à une centaine de milliers de francs, dont
ils se défirent hâtivement pour 10.000. il y a encore aujourd’hui des
« tient-bon » occupés par la Chambre de Commerce, mais les charges
jusqu’à présent ne s’achètent pas.
Le syndicat des dockers date de
la grève de 1900, qui éclata on ne sait au juste pourquoi ; on sait encore
moins comment elle a réussi, étant sans organisation et sans discipline. Il n’y
avait pas d’argent. Un ouvrier quitta le travail à l’occasion d’un différend
avec son patron ; son équipe suivit ; toutes les équipes suivirent.
On eut l’idée de faire venir des dockers anglais mais on faillit leur faire un
mauvais parti. Finalement les ouvriers obtinrent presque tout ce qu’ils
demandèrent. Ils demandaient un franc l’heure pour le travail de nuit en plus
du salaire à la tâche, les patrons offraient 0 fr. 75. Le représentant des
ouvriers, étranger à Dunkerque, crut pouvoir sacrifier les 25 centimes et ne
fut pas démenti. Mais quand un patron demanda le travail au prix accepté, les
ouvriers objectèrent qu’ils étaient fatigués et s’en allèrent. Dès lors, ils
touchèrent un franc et même deux en plus de minuit à cinq heures du matin. Le
syndicat fit imprimer les tarifs dans le « Tarif général des travaux en
journée et aux pièces » du 26 septembre 1900, modifié du reste depuis.
Aujourd’hui la journée normale
est de 8 à 9 heures selon la saison et est payée 6 francs, mais la majorité des
ouvriers travaille à la tâche et fait des journées très fortes. Un salaire de
2.400 francs n’est pas rare chez les « premiers » du nitrate. Les
premiers du bois n’arrivent guère qu’à 1.800 francs. Grâce au tarif élevé, le
travail de nuit est presque supprimé. De même pour celui du dimanche surpayé de
la même manière.
Les patrons ont de leur côté
fondé, le 14 janvier 1901, le « Comité général pour la défense des
intérêts maritimes et commerciaux du port de Dunkerque ». L’équilibre se
trouve donc rétabli. Une commission mixte d’arbitrage fonctionne et a
pacifiquement résolu déjà maints différends.
Aucun port français ne représente
une entente aussi étroite du côté ouvrier comme du côté patronal : la
discipline est très dure dans le monopole que s’attribue le syndicat ouvrier.
Pour travailler il faut montrer sa carte et justifier le paiement de ses
cotisations. Il faut, en tout cas, qu’un ouvrier d’exception soit affilié à son
syndicat. Beaucoup d’ouvriers font de très belles journées de 14, 16, 18 francs
mais ils accomplissent une besogne énorme. Les patrons ne s’en plaignent pas,
estimant qu’ils gagnent ce qu’ils leur donnent. Ils protestent seulement contre
l’exagération du travail de nuit.
Sauf sur la question d’outillage,
Dunkerque répond à ses besoins et la création de nouveaux quais permettant un
outillage complet supprimera ce transport anormal par les hommes de poids de
140 et 180 kilos de nitrates par exemple. Le transport de sel humide est
également à supprimer.
En somme, les ouvriers arrivent
actuellement à une vie acceptable, car le chômage est moindre à Dunkerque que
dans beaucoup d’autres ports. Mais les logements laissent beaucoup à désirer.
Beaucoup sont exigus, deux pièces, un galetas abritant souvent douze personnes,
mais tous sont aérés et construits d’une façon convenable, car je songe aux
taudis de Hambourg, Londres et Glasgow.
Les loyers varient de 10 à 18
francs par mois en Basse-Ville : deux pièces, l’une de 4x4 mètres et l’autre
de 2x4 avec trois grandes fenêtres. A saint-Pol, pour 16 francs on a la moitié
d’une petite maison bien bâtie, plus un petit jardin pour les pommes de terre,
une buanderie minuscule, une cabane à lapins et autres agréments. A 12 francs,
on est encore bien logé. Les loyers à 10 francs sont réservés d’ordinaire aux
maisons mal entretenues par le propriétaire.
Les femmes ne travaillent presque
jamais hors de chez elles ; les jeunes filles vont en filature jusqu’à
leur mariage.
N’oublions pas, de plus, que le
poisson constitue ici une nourriture abondante et précieuse.
l'armée s'installe à l'Hôtel de ville pour réprimer les troubles chez les dockers dunkerquois
VIII
Les autres fonctions possibles de Dunkerque
Un développement industriel est
très possible à Dunkerque, grâce à sa position et à sas facilités de transport.
Le jour où elle sera mise en contact avec la Meurthe-et-Moselle, elle recevra
des fers et aciers dans d’excellentes conditions. Dès à présent déjà, la
construction navale a pris une importance sérieuse.
Il y a quelques années, la
Chambre de Commerce a pris l’initiative de créer à Dunkerque un marché des
laines. Plus de la moitié de nos laines importées passent par Dunkerque et
surtout celles de la Plata et de l’Uruguay.
Mais Roubaix en possession du
commerce des laines, achetées directement, fait opposition aux ventes publiques
et traite l’Entrepôt de Mont-de-Piété, à cause des Warrants qu’il délivre.
Dans l’actualité, Dunkerque doit
s’efforcer de desservir le plus parfaitement possible les forces productives de
ses provinces du Nord et du Nord-Est, augmenter et perfectionner ses services
réguliers. Dès lors, les surtaxes d’entrepôt constamment demandées contre
Anvers deviendront inutiles. Mais pour établir des lignes régulières, il faut
des quais : la nécessité de nouveaux travaux apparaît une fois de plus.
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