dimanche 29 janvier 2017

aux premiers temps de la défense des terres du Nord, un passé oublié



            De vastes plaines, des marais et des cours d’eau paresseux, pas de montagnes mais quelques collines et une chaîne de monts de faible altitude avec de larges espaces entre eux, le littoral ouvert à toutes les marées et régulièrement soumis aux transgressions, surtout au nord: voilà le paysage qui s’offre au regard du voyageur qui s’y hasarde. L’absence d’obstacle facilite la circulation et si les marais, les rivières ou les forêts ralentissent l’ennemi, ils ne les arrêtent pas. Il y a déjà des routes, ce qui explique la progression romaine mais le paysage n'est pas réellement ouvert, les marais sont nombreux, les îles ou se réfugier aussi... Non, assurément, les terres septentrionales ne sont pas accueillantes.

            Si César avance que de tous peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves, c’est qu’ils surent mettre à profit les difficultés du terrain contre lui. En s’installant, les romains découvrent deux types d’habitat: des aedificia et des oppida. Les premiers sont de simples fermes, les seconds sont des habitats fortifiés prévus pour une population plus nombreuse, à l'utilisation discontinue. Cependant, l’oppidum est rare. A ce jour, l’on en dénombre que quatre: Avesnelles-Flaumont-Waudrechies (dit «Camp de César») et Etrun-sur-Escaut, situés sur le territoire des Nerviens; et en terre atrébate, Etrun (près d’Arras) et Noyelles-Vion. Sur la côte, le besoin de telles constructions ne se fait pas sentir. En effet, selon le géographe Strabon, les habitants se réfugient l’hiver sur les îles qui se forment dans les marécages. Les oppida ne sont pas occupés en permanence. Seul un péril imminent pousse les populations des alentours à s’y rendre, expliquant l’importance de la superficie: à l’oppidum d’Etrun près d’Arras, l’on mesure 40 hectares clos par un mur de 5 mètres de haut d'une réelle ingéniosité dans son mode de construction. Les celtes ne sont pas les sauvages que l'on se complairait aisément à décrire, d'ailleurs nombre de leurs inventions sont récupérées par l'occupant transalpin.

La paix romaine
            Malgré la Pax Romana, instaurée par Rome, permettant de reporter l'effort sur la conqup^^ete de nouvelles terres puis la défense des frontières, le destin militaire de certaines villes s’ébauche déjà.  Boulogne, partagée entre la ville basse Gesoriacum, et Bononia la ville haute, est lieu stratégique car le port accueille la Classis britannica, la flotte que Caligula établit en vue d’une invasion de la Bretagne, réalisée finalement par Claude en 43. Elle devient le point de départ de nombreuses liaisons outre-Manche. Pour en assurer la protection, la ville haute accueille un camp militaire. Le mur d’enceinte mesure 400 mètres sur 300 et délimite l’espace de casernement. D’autres camps sont édifiés comme à Cassel, sur un site exceptionnel: une butte de 176 mètres d’altitude face à la mer, à l'emplacement même de l'oppidum ménapien.

            Les crises intenses du Bas-Empire contraignent les habitants des villes à élever des enceintes. Elles en sont pas des élèments de décor concédés comme un honneur comme on le vit à Nîmes dans le Gard... Ici, le péril est réel et avéré. Dans la région, les premiers coups contre l’Empire sont portés par les Chauques, des Germains venus de la région comprise entre l’Ems et l’Elbe vers 160. Rome n’est plus crainte et sa richesse attire. Dans la seconde moitié du IIIe siècle, les Francs franchissent la frontière rhénane sur laquelle il faut désormais concentrer tous les efforts. Pirates Chauques, guerriers Francs et Saxons se risquent à de fréquentes et profondes incursions, des raids avant de penser à s'installer définitivement, poussés qu'ils sont par d'autres peuples venus de l'Est. A ces peuplades s’ajoutent les catastrophes naturelles. La côte flamande est à nouveau recouverte par les eaux lors d’une dernière transgression dunkerquienne. L’estuaire de l’Aa se transforme en golfe. Sithiu, la future saint-Omer devient un port de mer, le littoral s'égrène en îles soumises aux caprices de la marée.

            A leur reconstruction, les villes se replient sur elle-mêmes, le danger persistant. Pour clore efficacement le périmètre à défendre, la superficie urbaine se réduit sensiblement. A Arras, le castrum se resserre autour de la place de la préfecture. A Bavay, le forum est transformé en camp retranché de quatre hectares avec muraille et fossé de huit mètres de large et trois de profondeur.  A Arras, la ville ne s’étend plus que sur 9 hectares. Toute ville un tant soit peu importante reçoit sa muraille à laquelle s’adossent des tours semi-circulaires: aux villes déjà citées s’ajoutent Cassel, Thérouanne, Cambrai, etc. Les campagnes voient apparaître, çà et là, quelques tours de guet et quelques camps de petite taille, des castella. La fortification n’est pas ici entreprise systématiquement, elle ne fait que répondre aux dangers les plus immédiats comme à Famars (Fanum Martis, le Fanum de Mars) où le castellum enserre les thermes et le sanctuaire.

            Au cours du IVe siècle, une réorganisation des provinces romaines est rendue nécessaire par la force des invasions. Le rivage de la Province de Belgique Seconde redevient un enjeu stratégique. Sur les deux rives de la Manche, l’on édifie le litus saxonicum, un mur qui suit le nouveau tracé de la côte et sur lesquels s'égrènent une série de forts. La menace vient de la mer, le littoral permet tous les atterrages possibles... A l’intérieur, les routes sont protégées par des burgi, dont on détecte encore la trace au centre de Bergues, par exemple, avec cette rue circulaire qui part et aboutit au pied de l'actuel beffroi... Ces petites villes se dotent d'un rempart le plus souvent circulaire. Le reste de la défense est confiée à des castella où l'on installe des troupes de barbares fédérés. Désormais, la ville se définit comme un clos de mur à défaut de muraille. Lentement, la physionomie des villes et des campagnes change. L’Empire est dépecé par les chefs de guerre devenus des roitelets, régentant de petits territoires. Les traces des édifices qu’ils érigent sont insignifiantes car leurs habitations sont bâties en bois avec poteaux et sablières basses. Il serait cependant hasardeux de conclure pour autant à l’absence de fortifications car le bois, les claies et les ronces fournissent peu de reliques.

Renaissance carolingienne et Hommes du Nord...
            Finalement, le salut vient de la Renaissance carolingienne. Les murailles réapparaissent dans les provinces septentrionales. A nouveau, le pouvoir est fort, n’est pas débordé par ses serviteurs qui désormais sont contrôlés. Il incite à la reconstruction de fortifications, qu’il contrôle encore. Il faut donc attendre la déliquescence du pouvoir royal pour que le phénomène castral explose.

            L’histoire carolingienne est marquée par l’arrivée d’un nouvel ennemi. A partir de 793, Danois, Norvégiens, Suédois déferlent sur les côtes de Baltique et de Mer du Nord. De la même façon que quatre cents ans auparavant, le littoral est en première ligne. Pour les combattre, Charlemagne arme une flotte en Mer du Nord et en profite pour reconstruire la Tour d’Odre, le phare que les Romains avaient édifié à Boulogne. Ses successeurs ne peuvent que renforcer le rôle militaire de la région. Barrer la route aux Normands est une tâche quasiment impossible mais vitale. En remontant les rivières, les envahisseurs atteignent des terres plus riches, délaissant le pauvre littoral. L’Escaut leur ouvre une route vers les abbayes de Gand, vers Tournai et Cambrai. Par la Scarpe, ils accèdent aux abbayes de Saint-Amand et de Saint-Vaast puis à Arras, qu’ils pillent en 880 et 881. L’Aa leur permet de prendre l’abbaye de Saint-Bertin puis la proche ville de saint-Omer... Quant à Thérouanne, qui aurait été pillée successivement - selon les chroniqueurs - en 850, 861 et 881, ils y parviennent par la Lys. Après avoir dévasté Boulogne et Quentovic, suivre la Somme ouvrait la route d’Amiens pour, depuis cette ville, dévaster ensuite les abbayes de Saint-Riquier et de Corbie, cibles de choix. Finalement, la défense à l’intérieur des terres s’organise avec la construction de castra dans lesquels les Francs se réfugient. La fortification seigneuriale privée s’impose.
 
            Face à cette menace récurrente, les villes se dotent d’enceintes, souvent modestes. Arras est fortifiée après 882 et peut alors résister. Les habitants de Saint-Omer repoussent les Normands en 891 en se retranchant derrière une enceinte sommaire. Entre 888 et 901, Cambrai relève ses murailles. Les chroniqueurs de Saint-Bertin rapportent même que des fortifications sont érigées sur la côte, rappelant la ligne du litus saxonicum. De Burg-op-Schouwen à Bourbourg, les Bourgs («burgi») sont établis. Ce sont de véritables villages fortifiés, reconnaissables à leur enceinte circulaire comme à Bergues. A côté des villes, cependant, un nouveau modèle de fortification se répand peu à peu.

Le temps des Seigneurs
            L’Empire Carolingien, divisé en trois en trois royaumes au partage de Verdun en 843, voit se multiplier les grandes principautés. C’est le temps des Seigneurs. L’Europe ne se couvre pas seulement d’un «blanc manteau d’églises», elle voit aussi se dresser des châteaux de plus en plus nombreux tant dans les villes que dans les campagnes en adoptant un nouveau modèle: le château à motte. Ces habitations sont à la fois maison seigneuriale et réduit fortifié. Leur place a une utilité précise: au centre des terres, sur un lieu de passage à protéger ou à taxer. De façon générale, le château primitif se présente comme un tertre, le plus souvent artificiel, sur lequel se dresse une tour de bois. La terre provenant du creusement du fossé qui l’entoure est amassée à la base du donjon. La plupart du temps, le bord de la plate-forme sommitale est défendu par une palissade. Le bois est un élément essentiel car abondant dans nos régions, il peut être travaillé par n’importe quel paysan. Moins cher que la pierre et la brique, il souffre néanmoins d’un défaut rédhibitoire: il est très sensible au feu, trop même. Il sera remplacé seulement sur les seules mottes devenues séculaires. L’ensemble se double fréquemment d’une basse-cour, souvent séparée de la motte par un fossé.

            Avec l’évolution des techniques, de meilleures finances et surtout une importance grandissante de certaines familles, ces fortifications évoluent sensiblement et les donjons sont agrandis. A Douai, la résidence comtale érigée vers 946 par Arnoul Ier est renforcée par le roi Lothaire et perfectionnée durant le dernier quart du X° siècle par le Comte Arnoul II de Flandre. Le donjon en bois mesure alors 4,5 mètres de côté, la plate-forme est protégée par une palissade de bois, de même que le pont qui en permet l’accès l’est par une petite tour. Idem à Valenciennes, où le donjon primitif a été remplacé dès 1226 par l’Eglise des Frères Mineurs. A Tourcoing, aux XI° et XII° siècles, un château à plusieurs basses-cours est édifié, né d’une motte construite vers l’an Mil. A Lille, une motte de grande taille est dressée entre les cours des haute et basse Deûle, dans les entrelacs de la rivière, entre le castrum constitué autour de la collégiale Saint-Pierre et le forum. Placée au point le plus faible de la fortification, cette butte était impressionnante: une base de 150 mètres sur 90, une plate-forme sommitale de 42 mètres de diamètre et une hauteur de 12 mètres. Perdant toute utilité avec l’élargissement des remparts, au sein desquels elle est rapidement englobée, sa fonction change régulièrement. Arasée par les Ateliers nationaux en 1848, son importance peut encore se constater sur les cadastres et le plan-relief.

            Petit à petit, l’ostentation et les considérations stratégiques se rejoignent. Les rivalités seigneuriales se gravent dans la pierre tandis que les comtes eux-mêmes doivent se maintenir face à leurs vassaux. Si les seigneurs édifient des châteaux, les communes ne sont pas en reste. Avant 1100, quelques villes sont entourées d’une levée de terre complétée par une douve et un vallum en bois ou en haie vive que l’on finit par remplacer par des murs maçonnés.
            La brique triomphe du bois car l’argile et le sable foisonnent. Certaines villes acquièrent renommée par la production de leurs briqueteries. Les tours s’élèvent, massives, et les murs se percent de bouches à feu et de meurtrières. Les douves s’élargissent et s’approfondissent. La défense des murs est encore assez sommaire: en haut, l’on dispose de créneaux et de mâchicoulis et l’on coiffe l’ensemble de hourdages le temps du conflit. Il manque néanmoins des modèles à suivre.Ils ne tarderont pas cependant à s'imposer...

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