Lors des rassemblements des Little Ships à Dunkerque pour les commémorations de l'opération Dynamo, ou pour le tournage du film Dunkirk de C. Nolan, l'on a pu voir dans le port de Dunkerque des vedettes lance torpilles de la dernière guerre.
Ce type de navire courant dans les marines anglaise et américaine, et surtout dans la Kriegmarine (S-boot, pour lesquels la "base sous-marine de Dunkerque avait été édifiée) sont nés des impératifs stratégiques de la guerre précédente, notamment dans les combats de la Manche et de la Mer du Nord... retour sur une genèse qui n'a pas touché la Marine française....
Vedettes-torpilleurs automobiles
In G. Clerc-Rampal « Les
Navires », librairie Hachette, bibliothèque des merveilles, Paris, 1922,
192 pages, pp 103-109
Le principe même du torpilleur,
tel qu’il fut conçu à l’origine, était l’attaque
par surprise, ce qui demandait une grande vitesse et un petit déplacement. Sous
l’influence du temps de paix une fausse idée s’était fait jour : ajouter à
la destination principale du torpilleur la faculté de combattre – et de dominer
– les bâtiments similaires de l’ennemi. Cela devait conduire, d’échelon en
échelon, à un navire armé de canons, moins approprié à l’utilisation de la
torpille, et au contre-torpilleur d’au moins 1.000 tonnes que nous connaissons.
La même erreur fut d’ailleurs commise avec le croiseur qui, destiné primitivement à des missions spéciales de
découverte ou de reconnaissance, finit par devenir le croiseur-cuirassé de 15.000 tonnes lorsqu’on voulut l’opposer à ses
semblables.
La guerre, avec ses dures
nécessités, vint remettre les choses au point. Les grands torpilleurs firent le
service de croiseurs légers, qu’ils étaient devenus en réalité par leur taille,
et il fallut bien créer à nouveau le petit torpilleur rapide pour l’emploi exclusif
de la torpille automobile.
C’est en Angleterre qu’il a pris
naissance dans la maison Thornycroft, déjà connue par la construction des premiers
types à vapeur en 1875. Cette fois, ce furent des vedettes automobiles ; c’est-à-dire mues par des moteurs à pétrole, que
produisit la firme anglaise. Ces bâtiments, dont les premiers sortirent en
1917, reçurent les initiales de C.M.B. signifiant « Coastal Motor Boat »
ou bateau à moteur de côtes. C’était des vedettes en bois, à double bordé,
ayant 12 mètres de longueur et donnant 30 à 32 nœuds grâce à un moteur marin de
250 chevaux, à huile lourde, actionnant une seule hélice. Ils étaient montés
par deux hommes, ordinairement deux volontaires, et l’amirauté anglaise, bien
avisée, choisit pour remplir ces postes délicats, un grand nombre de yachtmen
rompus à la navigation côtière dans de petits bâtiments, auxquels furent
délivrées des commissions temporaires d’officiers.
Les C.M.B. anglais étaient armés d’une
torpille de 450 millimètres, placée dans une sorte de canal, à l’arrière, où il
y avait une cuiller de lancement. L’attaque se faisait de la façon suivante :
la vedette se dirigeait à toute vitesse sur l’ennemi, puis, arrivée à bonne
portée, déclenchait sa torpille. Celle-ci partait d’abord en arrière, la queue
la première, mais le choc de l’eau mettait ses hélices en marche et elle se
dirigeait alors vers le but, repassant sous la vedette que son faible tirant d’eau
de 0 m 60 mettait à l’abri. D’ailleurs, aussitôt le tir effectué, la vedette se
dérobait aux coups de l’ennemi en venant sur la droite ou la gauche, en mettant
la barre toute d’un bord, sans ralentir.
Plus tard on fit des C.M.B. de 17
mètres de long, ayant un tirant d’eau de 0 m 90. L’équipage comprenait alors
trois officiers. La vitesse était de 38 nœuds, avec un moteur de 375 chevaux. L’armement
se composait de deux torpilles, d’une mitrailleuse anti-avions, et de grenades
contre sous-marins.
Par temps calme, ces
vedettes-torpilleurs rendirent les plus grands services. Elles prirent une part
considérable aux opérations sur la côte belge, notamment contre Ostende et
Zeebrugge. Elles étaient devenues très redoutables aux contre-torpilleurs
allemands, dont elles coulèrent un certain nombre. Grâce à leur vitesse et à
leurs petites dimensions, elles subirent peu de pertes (Revue Maritime, janvier 1921).
En Italie, on créa les M.A.S. (Moto-scaffi Anti-Sottomarini), c’est-à-dire
bateaux à moteur contre sous-marins. Primitivement armés d’un canon léger et de
grenades, ces petits bâtiments reçurent ensuite des torpilles installées à l’avant
dans des tubes-carcasses, et furent suite employés l’attaque des grands
bâtiments. Leur plus célèbre exploit est le torpillage du grand bâtiment neuf
autrichien Szent-Istvan (20.000
tonnes, douze pièces de 305 millimètres, 21 nœuds).
Le 10 juin 1918, les M.A.S. n°s
15 et 21 aperçurent à 3h25 du marin près de l’île Lutoshak, deux gros bâtiments
escortés par huit contre-torpilleurs. Les deux vedettes se lancèrent dans l’attaque.
Le M.A.S. n°15, commandé par le capitaine de corvette Rizzo, réussit à passer
entre deux de ces contre-torpilleurs et lança, à 300 mètres, ses deux torpilles
contre le Szent-Istvan qui coula.
Rizzo put s’échapper, poursuivi par les escorteurs qu’il gêna en semant des
grenades derrière lui.
Le M.A.S. n°21 lança également
ses torpilles sur l’autre cuirassé autrichien ; une d’elles atteignit le
but mais sans produire la perte du bâtiment.
Les deux M.A.S. rentrèrent sans
avarie à Ancône.
A côté de ces bâtiments anglais
et italiens, véritables torpilleurs conçus selon l’idée première d’il y a
cinquante ans, l’on peut citer d’autres essais intéressants.
D’abord vint le canot-torpille dirigé créé dans le plus
grand secret par les Allemands et qui se dévoila le 1er mars 1917
devant Nieuport. Ce jour-là, on vit s’avancer devant la jetée de ce port une
embarcation à très grande vitesse, soulevant à l’arrière une énorme volute d’eau.
Ayant heurté l’estacade, cet engin explosa avec une violence considérable, en
volant en éclats. L’on se rendit bien vite compte qu’il n’y avait personne à
bord et que la direction se faisait à distance. On crut d’abord que c’était par
les ondes hertziennes, mais bientôt des renseignements précis permirent de se
faire une idée exacte de l’appareil, auquel les Anglais donnèrent la
désignation d’E.M.B. (Electric Motor Boats).
C’était des embarcations ayant 9
mètres de longueur sur 1m80 de large, mus par deux moteurs à explosion de 25
chevaux environ, actionnant chacun une hélice. La vitesse dépassait 30 nœuds.
La direction se faisait au moyen
d’un fil qui se déroulait au fur et à mesure de la marche et reliait
constamment le canot-torpille au poste de manœuvre établi à terre. Le courant
électrique était ainsi amené à bord où il actionnait le gouvernail par le moyen
d’un servo-moteur électrique fonctionnant sur accumulateurs. Le retour du
courant se faisait simplement par la mer. Un avion survolant le tout donnait à
l’opérateur terrestre les indications voulues, et celui-ci faisait varier la
position du gouvernail en conséquence.
La charge, constituée par quatre
cônes amorcés de torpilles automobiles, était placée à l’extrême avant et
déflagrait au choc ou électriquement, à volonté.
Les premiers essais des Allemands
datent de la fin de 1915. Le service de renseignements des alliés avait depuis
reçu l’information que cinq engins analogues se trouvaient dans le port d’Ostende.
On a vu l’un deux essayer contre Nieuport une tentative mal réussie. Plus tard,
des bâtiments anglais furent attaqués par des E.M.B. et le Erebus subit même des avaries graves,
qui ne l’empêchèrent heureusement pas de rallier Dunkerque.
A part cela, les Allemands mirent à l’eau
durant la guerre des vedettes très rapides munies de moteurs Daimler et armés
de tubes lance-torpilles. Ces bâtiments reçurent le nom d’ « Ersatz
Torpedo Boats », avaient 30 mètres de long et dépassaient, parait-il, 40 nœuds.
Leur armement comportait un tube lance-torpilles, un canon de 88 millimètres et
une mitrailleuse. L’équipage était de cinq hommes, ce qui semble bien peu. Mis
au point seulement à la fin des hostilités, on ne peut guère citer à l’actif de
ces bateaux que l’attaque effectuée le 23 aout 1918 contre les bâtiments
français de garde au large de Dunkerque. Plusieurs torpilles furent lancées
sans résultat, mais il évident que l’arme ainsi créée était dangereuse, comme
on s’en serait probablement aperçu si l’armistice n’avait mis un terme à son
emploi.
Depuis la guerre, la Marine des
Etats-Unis a établi un modèle de Coastal
Motor Boat plus perfectionné que celui créé pendant les hostilités par l’amirauté
anglaise. Ces petits bâtiments ont 17 m 70 de longueur, 2 m 90 de largeur et sont
munis de deux moteurs de 300 chevaux chacun leur faisant atteindre 30 nœuds. L’armement
comprend trois torpilles, un canon et cinq grenades contre sous-marins.
Une particularité curieuse de ces
C.M.B. américains est d’être demi-submersibles.
La chambre de lancement des torpilles est formée par un compartiment étanche
placé à l’avant. Au moment de l’attaque, ce compartiment est rempli d’eau et la
torpille flotte naturellement. Le bateau s’enfonce et ne dépasse plus la
surface que de 15 à 20 centimètres, ce qui le rend peu visible, mais sa vitesse
est alors réduite à 15 nœuds maximum. Le lancement s’opère en ouvrant un volet
placé à l’avant et en déclenchant le moteur de la torpille qui part alors sous
la poussée des hélices. Aussitôt une pompe puissante vide le compartiment et le
bateau, revenu dans ses lignes, retrouve sa vitesse de 30 noeurs pour s’échapper.
Ces vedettes, entièrement construites
en acier, ont des formes étudiées pour pouvoir passer au-dessus des barrages et
estacades. Dans des essais récents, au cours d’un exercice de nuit, elles auraient
pu s’approcher d’une escadre sans éveiller l’attention des guetteurs.
Comme on le voit, la
vedette-torpilleur de petite taille, à grande vitesse, est maintenant à l’ordre
du jour dans plusieurs marines. Il est évident qu’un pareil engin constitue
pour la défense des côtes un élément de premier ordre. Aussi il est regrettable
que la marine française soit restée complètement en dehors du mouvement. Cela est
dû, sans doute, à ce que la navigation dite « automobile », et
surtout la production du moteur marin, est très inférieure chez nous à ce qu’elle
st à l’étranger.
Le moteur marin, c’est-à-dire approprié à la navigation et construit exclusivement
dans ce but, n’existe en effet en France qu’à l’état d’exception. C’est
pourquoi, pendant la guerre nos vedettes et chasseurs de sous-marins étaient tous
munis de moteurs étrangers, l’industrie automobile nationale, trop
exclusivement adonnée à la voiture, ne pouvait en fournir de semblables.