Les torpilleurs
In G. CLERC-RAMPAL, Enseigne de
Vaisseau de Réserve, « Les Navires », Librairie Hachette, collection
Bibliothèque des merveilles, Paris, 1922, 192 pages, pp 100-
Les premiers bateaux-torpilleurs
ont été créés par Thornycroft, en Angleterre, du moins les premiers qui aient
réussi, car nous en avons possédé d’abord sept construits en France, tous
absolument manqués. Devant cet échec, en 1878, on en acquit douze au célèbre
constructeur anglais qui furent numérotés de 8 à 19. C’étaient de petits
bâtiments d’environ 27 mètres de longueur, qui donnaient la vitesse, énorme
pour leur taille et leur époque, de 18 milles à l’heure (33 kil. 300). Ils étaient
tous armés d’une hampe pour l’utilisation des torpilles portées.
Ce ne fut, en effet, que le n°27
qui reçut le premier un tube de lancement pour torpilles automobiles. Les bateaux
construits par Thornycroft servirent de modèles, et bientôt de nombreuses
maisons françaises, Claparède à Saint-Denis, Les Forges et Chantiers de la
Méditerranée, et surtout Augustin Normand au Havre, furent en état d’en fournir
de semblables. Les chantiers de Normand arrivèrent même à produire des types
supérieurs à tous ceux existant alors, et le célèbre constructeur naval acquit
une renommée justement mondiale pour les petits bâtiments à grande vitesse. La suite
de ses productions suffit à donner une idée des étapes successives parcourues
par le torpilleur.
En 1883, Normand construisit une
série de dix bâtiments de ce genre, numérotés de 60 à 70, qui avaient 33 mètres
de long, 50 tonneaux de déplacement et donnaient 20 nœuds ou 37 kilomètres à l’heure.
Le succès de cette série, dont les qualités nautiques étaient bonnes et la
valeur militaire sérieuse, marqua le commencement des polémiques entre les partisans
de la torpille et ceux du cuirassé. Les premiers, oubliant qu’un petit bateau
ne pourra jamais posséder une navigabilité suffisante pour tenir la mer par
tous les temps, assuraient que le grand bâtiment devait disparaitre et voyaient
déjà le cuirassé succombant à tous les coups contre les attaques infaillibles
du torpilleur. A cette époque cependant la torpille automobile n’avait guère qu’une
vitesse de 27 à 28 nœuds jusqu’à 400
mètres et une vitesse de 25 nœuds à 800 mètres. La vitesse, était, en
outre, rien moins qu’assurée, et la prétention des ennemis du bâtiment de haut
bord se trouvait excessive.
De l’autre côté, aussi, l’on
dédaignait par trop cette arme naissante, et l’erreur manifeste de ceux qui
annonçait la faillite prochaine du torpilleur. Comme le plus souvent, la vérité
se trouvait à égale distance de ces deux opinions extrêmes, et aujourd’hui
personne ne l’ignore plus.
Ce fut en 1890 que Normand
produisit le type de torpilleur qui devait enfin s’imposer. Les quinze
bâtiments de cette série, numérotés de 130 à 144, avaient 34 mètres de long,
déplaçaient 50 tonneaux et donnaient 21 nœuds. Comme on le voit, les dimensions
tendaient à s’accroître, et cela dans un genre de bâtiments pour lequel le
petit tonnage, la faible grandeur, assurant l’invisibilité,
constitue la meilleure protection. C’est que les qualités nautiques, ainsi que
l’habitabilité, étaient encore trop faibles, et malgré l’avis des théoriciens
en chambre, on ne peut employer utilement un bateau que s’il peut naviguer par
mauvais temps et abriter convenablement son équipage.
Aussi, en 1889, les torpilleurs
dits « de défense mobile », c’est-à-dire destinés à être affectés à
la guerre le long des côtes, déplaçaient déjà 90 tonneaux environ, avaient 37
mètres de longueur, 1.200 à 1.500 chevaux en puissance et donnaient 25 nœuds. Leur
armement consistait en deux tubes lance-torpilles et deux canons à tir rapide
du calibre de 37 millimètres. La dernière série de ces torpilleurs, numérotés
de 295 à 369, finit par atteindre 100 tonneaux et 387 m 50 de longueur, avec
une vitesse de 26 nœuds pour 2.000 chevaux.
Ce type, malgré ses indéniables
qualités, n’était pas apte à la navigation au large ; ni capable d’accompagner
les escadres. On créa donc les torpilleurs dits « de haute mer » dont
le prototype est le Chevalier, lancé
en 1893. D’un déplacement de 125 tonneaux, avec une longueur de 44 mètres, une
puissance de 2.400 chevaux et une vitesse de 28 nœuds, ce bâtiment offrait de
meilleures qualités nautiques que les torpilleurs côtiers. L’on se dirigea dans
cette voie, et Normand lança en 1895 son célèbre Forban, de 130 tonneaux et 3.500 chevaux de puissance, qui détint à
ce moment le « record de vitesse » pour tous genres de bâtiments,
avec 31 nœuds (54 km.400) fournis dans ses essais à Cherbourg. Après ce succès,
l’on agrandit encore le type dont l’apogée est marquée par la Bourrasque de 45 mètres de
longueur, 150 tonneaux, 4.200 chevaux et 31 nœuds.
A partir de 1907, on ne
construisit plus de torpilleurs réellement dignes de ce nom, c’est-à-dire dont
la torpille constitue la seule raison d’être. Imitant les Anglais qui, pour
contre-balancer nos flottilles se mirent, dès 1895, à produire des « torpedo-destroyers »,
littéralement destructeurs de torpilleurs,
bâtiments de 350 à 400 tonneaux, donnant 30 nœuds et possédant, en outre, deux
tubes de lancement, quatre pièces de 76 millimètres, nous ne mîmes plus en
chantier que des contre-torpilleurs.
Le premier fut le Durandal construit par Normand en 1896. Il
avait 55 mètres de longueur, déplaçait 300 tonneaux, donnait 27 nœuds et
portait, en outre deux tubes, un canon de 65 millimètres et six de 47
millimètres. L’artillerie commençait à prendre une place plus importante que la
torpille ; l’on envisageait donc la lutte contre les bâtiments similaires
et non plus seulement contre les cuirassés ; désormais l’accroissement de
tonnage était fatal. Tout en conservant cette appellation assez impropre de « contre-torpilleur »,
on est passé successivement à 337 tonneaux (type Claymore) puis à 400 tonneaux (Carabinier),
à 450 tonneaux (Aspirant-Herbert) et
on a atteint aujourd’hui 1.500 tonnes sur le dernier type Bourrasque.
Mais la guerre de 1914-1918 a
ramené le bâtiment-torpilleur à des dimensions plus modestes, la lutte ayant eu
lieu surtout le long des côtes. L’invisibilité et le peu de surface vulnérable
sont revenues en honneur et l’on a vu se créer des flottilles de torpilleurs
minuscules.
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