La crypte décryptée de Boulogne-sur-Mer
Récemment rouverte au public, la crypte de la cathédrale Notre-Dame de Boulogne est l’une des plus vastes de France. Elle se visite comme un passionnant musée d’art et d’histoire, se parcourt comme un lieu portant à la rêverie.
Si l’on était réalisateur de cinéma, on retiendrait très vite la crypte de Notre-Dame de Boulogne comme
décor d’un prochain film ! Difficile de résister à son charme
mystérieux, à ses vastes espaces cloisonnés dont les perspectives se
dévoilent peu à peu, dans une impression paradoxale d’immensité et
d’intimité.
« Dans ma jeunesse, se souvient Dominique Dupilet, ancien président du conseil général du Pas-de-Calais, le
lieu n’était ouvert qu’une fois par an, le Vendredi saint. Je ne
manquais jamais d’y aller, à la fois fasciné et vaguement effrayé. À
peine éclairée, peu entretenue, la crypte offrait un terrain propice à
toutes les imaginations enfantines ! »
parcours pédagogique et immersion poétique
Aujourd’hui,
depuis sa récente réouverture solennisée par la présence de la ministre
de la culture Fleur Pellerin, elle accueille les amateurs d’art comme le
ferait un musée mais sans renier pour autant la richesse de son
histoire ni les particularismes, voire les bizarreries, de son
architecture.
« Nous proposons un parcours pédagogique mais aussi une immersion poétique, se félicite Frédéric Debussche, animateur du patrimoine de la ville de Boulogne. Pour retrouver un peu de l’esprit de l’abbé Haffreingue qui, au XIX e siècle, a réalisé ici une œuvre esthétique et mystique parfaitement originale. »
Ce prélat entreprenant, directeur du petit séminaire de Boulogne,
espère alors rendre à la cité le siège épiscopal qu’elle a perdu depuis
la Révolution. Mais la cause est difficile à défendre avec une
cathédrale en ruines.
un chantier colossal
L’abbé en rachète le terrain et les
travaux commencent par la construction d’une chapelle dédiée à la
Vierge, puis d’un dôme néoclassique aux dimensions vertigineuses. C’est
alors que les vestiges d’une crypte romane sont mis au jour, épousant le
plan de l’ancienne église médiévale, elle-même bâtie sur un ancien
casernement romain… « Il faudra des dizaines d’années pour que la crypte que nous
connaissons aujourd’hui soit déblayée et renforcée, tandis que l’abbé
Haffreingue lance un colossal chantier iconographique, recouvrant les
parois (4 000 m 2
peints !) de scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament mais
aussi d’épisodes de l’histoire de Notre-Dame de Boulogne et de son
pèlerinage marial qui a rayonné au Moyen Âge », explique Frédéric Debussche. Alors que la cathédrale haute, baignée de lumière, symbolise et
illustre l’Église « militante » et « triomphante », la crypte, elle,
raconte l’Église « souffrante ». Ainsi, au bout du chemin, non loin de
la tombe de l’abbé Haffreingue, un Golgotha dresse ses trois croix, dans une reconstitution de la Passion très XIXe
, un brin kitsch mais puissamment évocatrice…
un trésor remarquable
De salle en salle, le visiteur
découvre, exposés à flanc de muraille ou sous vitrines, de remarquables
pièces lapidaires ou d’orfèvrerie, richesses du trésor de Notre-Dame de
Boulogne. Là encore, selon son humeur et son désir d’apprendre, il peut
les admirer rapidement tels de brillants joyaux magnifiant l’édifice ou
s’attarder sur les plus remarquables d’entre elles.
Voici un étonnant chapiteau du XIe
siècle aux dessins mi-réalistes, mi-géométriques figurant deux lions.
Plus loin, sculptée dans l’albâtre, une délicate image du jeune
Louis XIV offrant à Notre-Dame de Boulogne un cœur d’or : le visage
grave, le manteau aux plis fleurdelisés et la couronne ouvragée
témoignent de la virtuosité de l’artiste.
Fierté de Boulogne, voilà un reliquaire circulaire dit du
« Saint-Sang » en émail de plique (1), or et cristal de roche, attribué à
la main experte de Guillaume Julien, l’orfèvre de Philippe le Bel. Il
renfermait un fragment d’étoffe taché du sang du Christ envoyé de
Jérusalem par Godefroy de Bouillon en 1100…
En face, bouleversant,
pathétique, un Jésus en ivoire agonise, les lèvres ouvertes, la tête
penchée et le regard douloureusement levé vers le ciel.
Ostensoirs, ciboires et calices illustrent l’évolution des styles et des techniques, jusqu’à cette « orfèvrerie mécanisée du XIX e
siècle, dont les modèles sont reproduits en atelier sur
catalogue mais qui compte aussi ses grands artistes comme
Poussielgue-Rusand », plaide Frédéric Debussche. La crypte tout
entière réhabilite ce siècle partagé entre foi dans le progrès technique
et désir de retrouver les racines ancestrales d’une France bousculée
par la succession des régimes politiques et les tensions entre État et
religion. Mais aussi entre raison et sensibilité.
Un vaste édifice souterrain
De 2009, date de la mise en place du projet de restauration, au printemps 2015, la rénovation et le réaménagement de la crypte de Notre-Dame de Boulogne auront coûté 4 millions d’euros.
D’une superficie de 1 400 m 2 (ce qui en fait sans
doute la plus vaste de France), la crypte est divisée en 12 salles. Ses
101 mètres de long (sur 40 de large) offrent au regard du visiteur une
perspective remarquable.
Les collections lapidaires et d’orfèvrerie – dont une part
est désormais exposée – comptent près de 500 œuvres, depuis l’époque
romaine (un buste sans doute vestige d’une statue d’empereur) jusqu’au
XIXe siècle.
Exécutées au XIX e siècle sur un projet de
l’abbé Haffreingue, des fresques recouvrent les parois, totalisant une
surface peinte de 4 000 m2. Demeurent également des traces, fort abîmées
hélas, de peintures médiévales.
(1) Une technique d’émail cloisonné.
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