Extrait de la conférence de Pierre Mauroy : « Lille a bien mérité de la Patrie »,
conférence de clôture de l’Année du Bicentenaire, Lille, 17 décembre 1989
La multiplicité des sièges que Lille a dû subir au long de
son histoire millénaire constitue la contrepartie de son statut de place
militaire. Des siècles durant, ses habitants se sont trouvés contraints de
vivre enfermés dans les fortifications. Au milieu du XIXe siècle, les 80.000
Lillois étouffent sur une superficie de 210 hectares. L’insalubrité règne dans
la plupart des quartiers de la ville. Les nombreux canaux, en majorité à ciel
ouvert, qui parcourent la ville, sont devenus de véritables dépotoirs. Plaintes
de particuliers et rapports des autorités ne cessent de dénoncer cette
situation. L’industrie s’est taillée une place au détriment de l’habitat privé,
qui voit se multiplier les taudis. Les communes périphériques d’Esquermes,
Fives, Moulins et Wazemmes sont en pleine expansion. Les usines viennent s’y
installer, désertant Lille où l’économie stagne. Des protestations s’élèvent à
Lille, mais aussi dans les communes voisines où les contraintes militaires
freinent le développement de l’habitat et les implantations industrielles.
L’abus même des règlements tatillons des autorités militaires suscite le
sursaut libérateur. La coupe déborde lorsque le service du Génie réclame, en
1852, la démolition des quatre marches de l’église de Wazemmes au Faubourg de
la Barre. Elles se trouvent dans la zone des servitudes militaires ! Pour
les Lillois c’en est trop et ils entreprennent la reconquête de leur ville, se
lancent dans une véritable révolution urbaines. Ce défi mobilise jusqu’à la
veille de la Grande Guerre.
Le préfet Léonard Vallon, le Hausmann lillois, joue un rôle
décisif dans la renaissance de la ville. C’est lui qui réussit à convaincre le
maire de Lille, Richebé, puis l’empereur Napoléon III, de la nécessité
d’agrandir la ville. Le 13 octobre 1858, paraît le décret impérial prononçant
la suppression des communes de Wazemmes, Esquermes, Moulins et Fives et leur
rattachement à Lille.
Le 30 octobre, les conseils municipaux de Lille et des
communes rattachées sont dissous. Une commission municipale, présidée par
Richebé, est chargée de l’étude d’un plan d’alignement. Lille, Esquermes,
Moulins, Fives et Wazemmes ne font plus qu’une seule commune. La superficie
aménageable passe de 210 hectares à 720
hectares.
L’agrandissement s’accompagne de gigantesques travaux. Lille
devient, pour plusieurs décennies, un vaste chantier. Les municipalités de Géry
Legrand et de Gustave Delory se préoccupent d’abord d’assainir une ville qui en
a bien besoin. Une grande partie des canaux malodorants est couverte. Cinquante
kilomètres d’égouts sont creusés. L’eau courante est installée. « Pour
tous nos femm’s d’ménage, I n’se démontront pu l’bras, a chés pompes du
voisinnage »
Les rues anciennes sont aménagées. Des voies nouvelles sont
tracées : le boulevard de la Liberté, la rue de Solferino, le boulevard
Vauban, la rue Faidherbe…
La circulation s’améliore dans la ville. A la fin du siècle,
l’éclairage électrique fait son apparition.
On bâtit beaucoup. En 1914, les terrains annexés sont
presque entièrement couverts de constructions. Seul le quartier d’Esquermes,
parcouru par l’Arbonnoise, reste encore un petit village. On vient s’y promener
et canoter le dimanche. Des architectes de talent, Henri Contamine, Auguste
Mourcou, Emile Vandenbergh, Alfred Mongy, participent à cette œuvre ambitieuse.
De la Grand’Place à la place de Tourcoing, le long des rues et des avenues d’un
quadrilatère rigoureusement dessiné, s’élèvent les vastes hôtels du patriarcat
lillois et les maisons cossues de la bourgeoisie. Briques rouges, pierre
blanche, balustrades, frises, vasques, lucarnes, clochetons contribuent à
l’originalité d’une architecture un temps méprisée. On la redécouvre
aujourd’hui et elle fait le charme de nombre de nos rues.
La ville se dote d’un réseau d’écoles maternelles, primaires
et primaires supérieures. Elle participe à la construction de la Préfecture,
d’un vaste musée et d’un imposant ensemble universitaire entre la Porte de
Paris et la Place Philippe Lebon.
Le bilan de l’agrandissement n’est toutefois pas totalement
positif. Ville nouvelle et ville ancienne sont mal soudées. L’assainissement de
l’habitat ouvrier n’a pu être mené à bien. Le peuple de Lille est en droit
d’être déçu. Les espaces verts tant attendus ne profitent qu’à quelques
quartiers. La rapidité de la croissance de la population déjoue toutes les
prévisions. L’entassement se reconstitue, surtout dans les quartiers
populaires.
En dépit de son spectaculaire agrandissement, la ville
manque déjà de terrains disponibles pour construire les logements neufs qui
font défaut. Elle manque également d’espace pour améliorer la voirie et aménager
les espaces verts. La ville continue d’étouffer dans ses remparts tandis que
les nouvelles servitudes militaires freinent ses capacités à mener les travaux
d’urbanisme nécessaires. L’état-major est persuadé que la fonction militaire de
Lille est indispensable et que, pour ancrer une forte résistance devant la
frontière, les fortifications, loin d’être démantelées, doivent être
renforcées.
Gustave Delory, le Maire de Lille, soucieux des besoins de
la population lilloise, est convaincu de la nécessité de faire de Lille une
grande capitale régionale. Il engage auprès des pouvoirs publics d’actives
démarches pour obtenir le démantèlement des fortifications. Ses efforts
aboutissent au printemps 1906 lorsque le ministre de la guerre donne son accord
au déclassement de Lille. Mais hélas il faudra attendre la fin de la Grande
Guerre.
Quelques semaines après la victoire, le conseil municipal de
Lille sollicite à nouveau de l’Etat le déclassement de la ville. Au début de
l’année 1919, un projet de loi est déposé. Voté par les deux assemblées, il est
promulgué à l’automne. Lille demeure une place militaire mais son enceinte est
déclassée. La ville peut la démanteler. Sur les terrains ainsi libérés, la
ville peut désormais engager une politique d’urbanisme plus maîtrisée.
C’est Gustave Delory, redevenu maire à l’automne 1919, qui
engage les premiers plans. Mais c’est son successeur, Roger Salengro, qui
développe la plupart des grands chantiers lillois des années 1920 et du début
des années 1930. Cette œuvre de longue haleine, dans laquelle s’illustre le
maire bâtisseur qu’est Roger Salengro, dure en fait jusqu’à la fin des années
1960.
Lille a donc sur relever le défi. Avec Roger Salengro, puis
Denis Cordonnier et Augustin Laurent, Lille intra-muros a pu rejoindre ses
faubourgs. Le Centre des Chèques Postaux, le commissariat central, la Cité
administrative, la Foire commerciale, bref une série de bâtiments publics et
d’immeubles collectifs organisent l’extension lilloise à l’est. A l’ouest, la
couronne lilloise se densifie vers la porte de Béthune où se dressent des
immeubles collectifs dotés de locaux scolaires.
En revanche, au sud, l’extension est plus tardive puisque
les constructions de logements le long des boulevards de ceinture se
développent surtout entre 1955 et 1963, sous l’impulsion du premier adjoint
d’Augustin Laurent, Marcel Bertrand.
L’équipement de l’ancienne zone militaire a permis, enfin,
la réalisation, par étapes, d’une rocade autoroutière presque complète
aujourd’hui.
Mais il a fallu ouvrir le chantier des quartiers vieillis
par la rénovation de Saint-Sauveur, par la définition du quartier sauvegardé du
Vieux-Lille, par l’implantation d’espaces verts nouveaux, comme le jardin des
plantes, par la création de nombreux logements sociaux. Ce furent les chantiers
de maire de Lille Augustin Laurent a qui j’adresse une pensée affectueuse.
Vinrent les années nouvelles, les décennies 70 et 80 :
Lille a changé – Lille s’est embellie. La réalisation du secteur piétonnier, la
construction du métro, le réaménagement des quartiers, la multiplication des
équipements, comme le Palais des Congrès, la promotion culturelle de la ville,
l’application d’une politique originale de décentralisation, ont permis à Lille
de dominer son passé pour entrer dans l’ère nouvelle de son destin.
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