" La banlieue de
Dunkerque – Mardyck – Saint-Pol – Rosendaël "
Les ruines que causeraient cette submersion du pays, si considérables
jadis, le seraient encore bien plus aujourd’hui. Elle anéantirait en effet
seulement d’immenses espaces conquis à la culture, mais des villages prospères
qui se sont élevés aux portes mêmes de Dunkerque et jusque dans le voisinage de
la frontière. Ni le pays des Wateringues, ni celui des Moëres ne comportent de
grandes agglomérations et, en dehors des places fortes de Gravelines, Bergues
et Dunkerque, une seule a pu s’y former, le centre agricole de Bourbourg sur
l’Aa. Mais Dunkerque devait nécessairement déborder au-delà de son
enceinte ; la basse ville se prolonge au-delà du canal de Bourbourg vers
la Petite-Synthe, le long de ce canal de Mardyck dont le nom eut, dans les
dernières années de Louis XIV, un si triste retentissement, et dont l’aspect
est maintenant si lugubre. L’entrée se confondant avec celle du canal de
Bourgbourg est couverte de bateaux, puis l’eau diminue, la cuvette ne renferme
plus qu’un mince filet, ruisseau d’écoulement de quelques watergangs ; le
pont près de l’écluse, étroit, en dos d’âne, tombe en ruines et l’écluse
inachevée par laquelle les eaux devaient s’échapper dans la mer laisse détacher
chaque jour quelqu’une de ses pierres ; franchissant une maigre rangée de
dunes, un fossé continue le canal au milieu d’une plaine absolument nue,
récemment desséchée.
Mardyck, situé loin de cette écluse, a depuis longtemps
cessé d’être un port ; Fort-Mardyck, qui en est plus proche, est un joli
village de pêcheurs, mais où nul étranger n’est admis à la possession des terres.
C’est donc au plus près de la ville que se sont groupés, de l’autre côté de ce
canal, à proximité de la mer, tous ceux que la construction de la nouvelle
enceinte, les travaux du port, le désir d’échapper aux charges qui pèsent
toujours sur les habitants des villes, ont rejetés hors de Dunkerque.
Peuplé aujourd’hui de 5.000 habitants, Saint-Pol, dont la
munificence d’un particulier a favorisé a favorisé la croissance et la
prospérité, est comme une petite ville, dont les maisons basses, blanchies à la
chaux, avec toits rouges et contre-vents verts, s’alignent régulièrement dans
des rues étroites. La plage, séparée de la ville par toute l’étendue du port,
est peu fréquentée par les Dunkerquois et n’attirent que peu ou point
d’étrangers. C’est exclusivement jusqu’ici un bourg de pêcheurs, mais dont
l’ambition grandit avec les années, et qui prochainement peut-être disputera
une partie de sa clientèle à l’aristocratique Rosendaël.
Située à l’est du port, du côté de la ville
commerçante, à laquelle elle est reliée par un tramway, la « vallée des
roses » a toujours une nombreuse population de jardiniers qui tirent de
son sol les légumes dont se nourrit Dunkerque et les fleurs dont elle se pare,
mais elle est de plus en plus son lieu de plaisance et une ville d’eau. De l’ancien
bourg de Rosendaël-les-choux aux limites de la commune vers Dunkerque, se
succèdent les maisonnettes avec de petits bosquets, au milieu desquels sont
souvent dressées des tables et installés des jeux ; c’est la banlieue
populaire, le rendez-vous des ouvriers, des soldats, des boutiquiers ;
puis viennent des constructions plus soignées, à l’apparence de maisons
bourgeoises, de bonnes auberges, et enfin, faisant face au terrain militaire,
s’étendant vers la plage, des hôtels, des restaurants, des chalets, des villas.
Entre la rue principale et la plage, derrière ce front de bandière de chaque
côté des rues tracées dans le sable, des habitations destinées aux baigneurs,
fermées 8 mois au moins de l’année, ne s’ouvrent guère que pendant la saison,
limitée à cette latitude aux mois de juillet et août, quelquefois en septembre,
plus rarement en juin, et doivent, pendant ces deux mois, rapporter à leurs
propriétaires le prix de la location d’une année entière. Sur la plage enfin ou
même dans les dunes, les villas à l’architecture variée, à la forme
fantaisiste, comme on en rencontre sur toutes les plages en vogue. Au milieu
une belle construction en briques et pierres de taille, avec une longue
terrasse, de grands salons de conversation, un théâtre, un hôtel ; c’est
le casino. Plus loin, sur le territoire même de Dunkerque, en planches, vu sa
situation dans la zone des fortifications, le Kursaal avec restaurant, salon de
jeu, salle de spectacle, où des artistes en renom se font entendre au fort de
la saison, au moment des courses, qu’à l’instar de Deauville et d’Ostende,
Rosendaël offre à ses hôtes de passage. Sans avoir ni la magnifique jetée
d’Ostende, ni les coteaux de Trouville, ni les falaises de Boulogne, avec sa
grande ville à ses portes, la vue toujours variée de la pleine mer, le
mouvement des navires qui entrent dans le port ou qui en sortent, ses
promenades dans les dunes, ses campagnes si pleines d’originalité, son
voisinage de la Belgique ; en dépit de son éloignement de Paris, de sa
proximité de Boulogne et d’Ostende, de la mélancolie de son ciel, Rosendaël ne
pouvait manquer d’attirer sur ses sables de nombreux visiteurs. Elle devra
renoncer peut-être au rêve un instant caressé de marcher avec les stations les
plus bruyantes et les plus fréquentées, mais elle restera la plage du Nord, et le département où fleurissent
tant de centres, créés et vivifiés par le travail, suffira pour assurer la
prospérité d’une ville de calme et de repos. »
In Henri Cons – Le
Nord pittoresque – édition de 1888, Les éditions du bastion, réédition 1989
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