La plume plus forte
que l’épée ?
Ce vieil adage rappelle que si l’on assassine penseurs, artistes
et autres intellectuels, leurs idées demeurent et se perpétuent. Il est bien
difficile de tuer une idée… Elle germe, prend racines, se développe et grandit,
parfois devient envahissante.
La France ces derniers jours semble redécouvrir les
attentats et le terrorisme pourtant la vigilance ne semblait pas avoir tant
baissé, il suffisait de se promener dans les gares des grandes villes ou dans
leurs métros pour croiser des patrouilles mixtes policiers-soldats auxquels l’on
s’était habitué mais qui, parfois, choquaient les visiteurs étrangers car
depuis l’affaire Khaled Kelkal en 1995 et plus proche de nous, la cavalcade
funèbre de Mohammed Merah, nous n’entendions plus parler que de menaces et d’attentats
déjoués.
La presse semblait nous dire même que le danger s’était
estompé, elle relatait les équipées de jeunes français convertis à un Islam
radical et littéral partant s’engager dans les rangs des milices et autres « armées »
djihadistes au Moyen-Orient… et de s’étonner, chose nouvelle, que de jeunes
filles prenaient et prennent encore les mêmes routes…
Pourtant le terrorisme n’est pas un phénomène ancien, avant
que d’être religieux, il était politique… Le mot d’ « assassin » ne
vient-il pas du mot ḥašišiywn, de la
secte musulmane des Nizarites, sous la direction du Vieux de la Montagne, où
les « héros » étaient bourrés de haschich pour mener des assassinats
ciblés en y laissant au besoin la vie, et cela, déjà actifs durant les
croisades…
C’est oublier, pour ne pas alourdir le propos, le terrorisme
anarchiste qui prônait « l’action par l’exemple » quand le tueur
mourrait avec sa victime. La France connut au XIXe siècle et au début du XXe
siècle nombre d’attentats, jusqu’à la Chambre des députés, lorsqu’Auguste
Vaillant y jeta une bombe, ou même la mort du Président de la République Sadi
Carnot, tombé sous les balles de Caserio… Et pour ceux qui ont plus de quarante
ans, le traumatisme profond d’Action Directe qui assassina Georges Besse, l’attentat
d’Orly et, entre autres ceux du Drugstore, du RER saint-Michel ou de la rue
Copernic à Paris.
Mais là, les actions étaient le plus souvent aveugles :
des bombes posées qui fauchaient des civils, des passants lambda… ou abattaient
des responsables politiques ou économiques… Non le terrorisme n’est pas né dans
les locaux de Charlie Hebdo ! Il est juste passé en arrière-plan des
préoccupations quotidiennes, une fois l’émotion tombée… et cela est humain,
dans la vie comme dans la presse, « un clou chasse l’autre » et il
serait invivable de vivre dans une psychose perpétuelle.
Enfin, notre vision du terrorisme a aussi été faussée par le
gigantisme de l’attaque du 11 septembre 2001, par l’ampleur de l’attaque comme
des répercussions internationales… Evidemment, le foisonnement des médias et
des réseaux sociaux a joué un rôle amplificateur. Nulle journée sans que l’on
sache qu’une bombe a explosé ou qu’un massacre a été perpétré à l’autre bout du
monde… Et l’autre bout du monde, c’est loin.
Quand lorsque durant la Guerre Froide nous attendions les
colonnes de blindés russes aux portes de Paris, nous étions loin de penser aux
guerres asymétriques avec des assaillants issus de notre propre communauté
nationale…
#Je suis Charlie
Le choc des derniers jours tient aussi et surtout à la cible :
un journal satirique que tout le monde ne lisait pas, loin de là, en difficulté
financière (60.000 exemplaires tirés une fois par semaine) mais qui
rassemblaient des plumes connues, familières qui avaient accompagné moult
Français depuis leur enfance et parfois depuis longtemps : dignes successeurs
du défunt Hara-Kiri, le « journal bête et méchant » qui avait osé
titré à la mort du Général de Gaulle « bal tragique à Colombey : 1
mort » faisant se télescoper la mort de l’homme du 18 juin et fondateur de
la Ve République et un incendie tragique dans une discothèque. Le germe de la
subversion et de l’esprit potache étaient là.
Pourtant, il ne faut pas verser dans l’angélisme, les
journalistes de Charlie Hebdo n’étaient que des hommes comme les autres, avec
une vie et des soucis du quotidien, des bons vivants, des potaches, des
étudiants attardés et pour beaucoup, des « amis lointains » avec qui
on aurait sans problème aucun vidé des chopes… Leur tort : oser rire de
tout et dénoncer les extrémismes, les travers de la société, les coups
politiques mais en voulant en rire de peu d’en pleurer… Certes pas toujours des
plus finement mais de façon parfois presque naïve, désarmante. Des coups
médiatiques, ils en ont eu à leur actif au point d’enchaîner procès et lettres
de menaces car si l’on peut rire de tout, tout le monde n’a pas nécessairement
le sens de l’humour… Mais ils étaient souvent fins dans leurs analyses,
satiriques et caricaturaux car parfois pour faire passer une idée, il faut
grossir le trait, et que l’on peut dire – il est vrai – les choses les plus
ardues, les plus sérieuses au travers d’une blague, au moyen d’un sourire, ou d’une
vacherie…
Ils ne faisaient pas dans la dentelle les potaches, mais ils
avaient le mérite de s’attaquer à tout le monde, aucun homme politique, aucune
idée, aucune religion n’était épargnée, tous en prenaient largement pour leur
grade… mais attention, ils n’étaient pas non plus des saints laïques… Ils
avaient leurs idées et les proclamaient haut et fort, quitte à déranger le
train-train quotidien dans une sorte d’irrespect fondateur mais qui visaient
ils en fait, les humbles et les petits qui vivaient leur foi ou leur engagement
politique dans la sérénité sans chercher à l’imposer ou les politiciens
professionnels qui assenaient leur vérité comme Evangile et les prosélytes extrémistes
de tout bord (ou de tout poil) qui ne cherchent qu’à imposer LEUR point de vue
comme seul et unique à suivre pour saper notre façon de vivre-ensemble, même si
notre monde est tout sauf parfait ! L’ennui majeur, c’est que l’attentat
chez Charlie Hebdo tombe on ne peut plus mal au moment où les polémiques sur l’islamophobie
d’un Houellebecq ou la thèse du grand remplacement de Soral, Zemmour et les
quenelles de Dieudonné sont largement répercutées dans la presse au point de
créer l’amalgame entre des musulmans souvent pacifistes qui cherchent à s’intégrer
tout en gardant des coutumes apportées dans leurs valises et des Islamistes qui
veulent imposer leur vision sociétale dans un pays qui a décidé en 1905 la
séparation des Eglises et de l’Etat (et ce bien que le statut concordataire
existe encore en Alsace-Moselle, territoire allemand encore à l’époque des
faits)…
Certes, parfois leurs dessins étaient capables de me choquer
ou de me gêner mais après tout, pas plus que les rodomontades de certains
intellectuels qui ont accès aux plateaux de télé qui voudraient que nous soyons
tous en danger, qu’il y a un complot mondial et que notre identité est menacée…
en oubliant que l’Islam radical c’est un peu comme la Corse du FLNC : une
minorité remuante et agissante face à une immense majorité anonyme qui souvent
condamne.
Et la liberté de la
presse comme de conscience ?
Ces principes sont inscrits dans nos textes législatifs
fondateurs, la liberté existe mais elle est bornée par les lois. Se pose alors
la question s’il ne faut pas temporairement des lois d’exception pour ces
terroristes ? car ils vont à l’encontre de notre idée de Nation si bien
définie par Fustel de Coulanges et Ernest Renan, que tente de mettre à bas l’idée
nationale de la droite extrême. En France, la Nation résulte d’une volonté de
vivre ensemble avec des valeurs et des règles communes, un savoir vivre, une
tolérance et non pas, à l’instar des penseurs germaniques, fondé sur le droit
su sang. Mais encore faut-il voir ici quelques faillites du système qui pousse
des jeunes désœuvrés, endoctrinés car désespérés (et cela, on peut le retrouver
quand d’autres se réfugient dans les produits stupéfiants ou les actes délictueux
mineurs), des jeunes qui ne voient pas nécessairement quel avenir leur est
réservé mais où la différence d’appréciation de leur situation est exacerbée
par les tensions sociales et ethniques… ainsi que par les obédiences
religieuses souvent rendues plus dangereuses quand elles sont entre les mains
de prédicateurs fanatisés… Et les Flamands en savent bien la portée qu’ont ces
derniers, notre terre a été des décennies abreuvées du sang des guerres de
religion…
« Sans liberté
de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur »
Cette citation de Beaumarchais servit longtemps de frontispice
au fameux et fabuleux Canard Enchaîné… Si pour l’heure, Anastasie, la censure
ne frappe plus vraiment, la tentation de l’autocensure est maîtresse en les
têtes, toutes les têtes, avec sa fidèle compagne qu’est le « politiquement
correct »… Bientôt l’on n’ose plus blaguer sur les vieux, les malades, les
femmes, les enfants, les religions… le champ d’action de la liberté se réduit de
lui-même comme si tout autant de balles virtuelles avaient fusées depuis des
années dans le champ de bataille des idées.
S’attaquer à un organe de presse pour tenter de le faire
taire, voilà une drôle d’idée, on se souvient tous de la fatwa lancée sur Salma
Rushdie à la parution des « versets sataniques » ou, de l’autre côté,
de la bombe posée par des catholiques ultras dans un cinéma lors de la
projection de « la dernière tentation du Christ » de Scorsese. Plus insidieux encore, les interdictions de
parution de livres ou d’œuvres d’art « susceptibles de choquer » les
âmes pieuses.
Non, comme l’a dit un tweet à juste titre : « ils
ont voulu tuer Charlie, ils l’ont rendu immortel » et le soutien
international le démontre, ce journal franco-français est désormais connu dans
le monde entier mais surtout, au travers de ce carnage, c’est notre liberté à
tous de pouvoir exprimer nos idées qu’ils ont tenté de réduire à néant en
voulant nous rendre peureux et craintifs, obligeant à peser chaque mot, chaque
virgule, faisant oublier notre esprit voltairien, quand le vieux philosophe qui
cultivait ses roses osait écrire : "Je ne suis pas d'accord avec
ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous ayez le
droit de le dire." Et pourtant, sa bête noire était bien l’Eglise
omniprésente en son temps, puissance temporelle et spirituelle qui régissait
tous les actes de la vie et où les déviationnistes protestants n’avaient que
pour choix de mourir, se convertir ou partir après le désastreux édit de
Fontainebleau en 1685…
« Mourir pour des idées, mais de mort lente »
chantait Brassens, l’équipe de Charlie-Hebdo, pas plus que les policiers
laissés sur le carreau dans l’exercice de leur fonctions, l’un deux même abattu
à terre alors qu’il se rendait… Des idées et des idéaux, nous en avons tous,
ils sont de frêles flammes qui ces dernières jours ont vacillé dans le vent et
que des foules d’inconnus ont protégé de leur mieux. Avec parfois des petites
péripéties : la foule entonnant à Paris la Marseillaise pour des
libertaires comme ceux de Charlie mais dont le chœur spontané cherchait – à mon
humble avis – montrer la cohésion nationale et l’union sacrée en dépit des
âges, des situations, des religions, plus qu’une communauté, une cohésion et
surtout le glas de Notre-Dame pour ceux qui avait tant « bouffé de la
calotte ». Nul doute que cela leur aurait faire rire…
Et demain ?
Demain, il faudra penser les plaies et faire en sorte que l’esprit
français du brocardage ne s’évanouisse pas comme rosée au soleil car, comme je
l’ai dit plus haut, un clou chasse l’autre. Cet esprit gaulois, vachard,
contestataire, paillard ne peut ni ne doit disparaitre…
Autre question qui se pose, comment empêcher l’amalgame
entre les musulmans qui refusent cette violence et les exaltés ? Comment empêcher
les « pogroms » et les « ratonnades » à la moindre barbe
suspecte, à la moindre mosquée ayant pignon sur rue et surtout faire pour agir et
parler d’une même voix contre tous les extrémistes qui veulent nous entraver et
nous bâillonner au nom de leur foi… Les islamistes sont dangereux mais la
radicalisation des uns ne peut-elle entrainer le durcissement des autres intégristes
qu’ils soient juifs ou chrétiens, si audibles lors des « manifestations
pour tous » voulant imposer à l’ensemble de la communauté leur vision
sociétale.
Nous sommes dans un des rares pays laïques or après tout, la
laïcité, c’est le droit de croire… ou de ne pas croire, ainsi que je le
définissais à un ami belge qui me posait
la question… On peut parler, mais on ne
peut tuer… D’ailleurs, les trois religions du Livres, toutes issues d’Abraham
ne sont-elles pas sensées suivre un des commandements : « tu ne
tueras point » ?
Espérer que l’Islam radical finisse par s’affaiblir de
lui-même comme le prosélytisme armé par une conversion des âmes et des cœurs,
engagés qu’il est dans une guerre sainte, comme les chrétiens le furent au
Moyen Âge avec les croisades il y a 900-700 ans… mais l’Islam n’a-t-il pas, sur
notre calendrier plus de 600 ans de retard puisque commençant son comput à l’Hégire
en 622 ? L’islam serait alors confronté aux maladies de jeunesse des
religions et finira bien un jour par s’assagir comme le christianisme le fit…
cela forcément demandera de la patience, aux « mécréants » comme ils
disent comme pour les fidèles non endoctrinés… Et nous ne le verrons pas de
notre vivant !
Enfin, et sur un plan immédiat, comment réagir sans tomber
dans la psychose collective : faut-il promulguer des lois d’exception pour
des crimes d’exception ou garder notre actuel arsenal juridique garant de notre
démocratie, appliquer le traité de Genève pour ceux qui seront pris en se
proclamant guerriers (fut-ce de Dieu) alors qu’ils n’appartiennent à aucune
armée régulière constituée selon le droit international et les coutumes de la
guerre ? Bref, faut-il se mettre à leur niveau de sauvagerie voire de
barbarie pour qu’ils comprennent notre réaction ? Que faire enfin des
jeunes Français partis faire le Jihad en Syrie ou au Yémen et qui reviennent
sur le territoire national ? Voilà bien des questions graves qui se
posent.
Je suis d’un pays où les guerres de religion ont laissé des
milliers de gens gisants sur les champs de bataille, pendus à des gibets ou
ligotés à des buchers… Nous savons ici le prix d’une guerre religieuse comme
tout l’ensemble des Pays-Bas d’ailleurs. Il faudra du temps pour que soient
jetées des passerelles comme le Jansénisme qui apaisèrent bien des choses…
En attendant, si Tyl Ulyenspiegel disait que « les
cendres de Claes battent sur [son] cœur », pour nous, et quel que soit
notre avis sur ce journal, c’est sur leurs cendres que battent les nôtres.
Quand on commence à abattre les artistes, les amuseurs et les comiques, la
dictature n’est pas loin. A nous de réagir, mais intelligemment, sans haine
inutile qui pourrait faire tomber des innocents, car « seuls ceux qui ne
bougent pas ne sentent pas les chaines » qu’on leur met…
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