« Qui pourrait dire ni
écrire par bouche, ni penser de cœur, ni écrire en tablettes ni en parchemin
(les applaudissements, les hymnes triomphaux, les innombrables danses de joie
des populations), la très grande fête que tout le peuple faisait au roi, comme
il s’en retournait en France après la victoire ? Les clercs chantaient par
les églises doux chants et délicieux en louange de notre Seigneur ; les
cloches sonnaient à carillon par les abbayes et par les églises ; les
moustiers étaient solennellement ornés dedans et dehors de draps de soie ;
les rues et les maisons des bonnes villes étaient vêtues et parées de courtines
et de riches garnitures ; les voies et les chemins étaient jonchés de
rinceaux d’aubier, d’arbres verts et de nouvelles fleurettes ; tout le
peuple, haut et bas, hommes, femmes, vieux et jeunes, accouraient à grandes
compagnies aux passages et aux carrefours des chemins, les vilains et les
moissonneurs s’assemblaient, leurs râteaux et leurs faucilles sur le cou (car c’était
au temps qu’on cueillait le blé) pour voir et injurier Ferrand en liens, qu’ils
redoutaient un peu avant en armes/ Les vilains, les vieilles et les enfants n’avaient
pas honte de le moquer et injurier, et avaient trouvé occasion de le rallier
par l’équivoque de son nom, pour ce que le nom est équivoque à homme et à
cheval. Il advint d’aventure que deux chevaux de la couleur qui tel nom met à
un cheval le portaient en une litière et pour cela criait-on par moquerie que
deux ferrants emportaient un tiers ferrant et que Ferrand était enferré, qui
devant était si enragé qu’il trépignait et par orgueil s’était contre son
seigneur rebellé. Telle joie fit-on au roi, et à Ferrand telle honte, jusques à
temps qu’il vint à Paris. Les bourgeois et toute l’université des écoliers, [le
clergé et le peuple] allèrent au roi à l’encontre [avec des hymnes et des
cantiques] et montrèrent la grande joie de leur cœur par les actions du dehors ;
car ils firent fête et solennité sans comparaison ; et il ne leur
suffisait pas du jour, mais faisaient aussi grande fête par nit comme par jour
à grands luminaires, car la nuit était aussi en lumière que le jour ;
ainsi dura cette fête sept jours et sept nuits continuellement. »
Guillaume le Breton, Gesta Philippi Augusti, ed et trad. G.
Duby, Le dimanche de Bouvines, Paris,
Gallimard, 1973, pp. 93-94.
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