Dunkerque et Jean Bart, voilà deux noms que l’on trouve plus
volontiers dans la Marine, porté par des navires de guerre. Plus étonnant
pourtant, ils ont été régulièrement noms de baptême de chars. Il faut aussi
compter avec l’aviation.
L’arme la
plus récente, a retenu aussi la cité flamande pour nommer un escadron. Cette
formation est extrêmement discrète, secrète même mais essentielle dans la
conduite de missions de guerre moderne. On est loin ici des chasseurs des
Tigres du Cambraisis qui sillonnaient le ciel de notre région depuis la base BA
103 de Cambrai-Epinoy... car l’escadrille Dunkerque, l’EE 54, tel qu’elle est
officiellement dénommée, est spécialisée dans la guerre électronique.
Créée le 1er janvier 1964 à Lahr en Allemagne, en
pleine guerre froide, elle récupère les appareils de l’ELA 55 qui venait d’être
dissoute.
l'insigne de l'EE 54
Pour ce qui est de sa filiation historique, l'escadron
électronique aéroporté reprend les traditions de l'escadrille MF20, dernière
unité aérienne créée avant le premier conflit mondial. Arborant le lion des
Flandres sur un blason bleu roi en souvenir de son stationnement dans les
Flandres en 1915, la MF20 a participé à toutes les grandes batailles du premier
conflit mondial en tant qu'unité d'observation et de renseignement. Formée
initialement sur Henry-Farman 1, l’escadrille a utilisé successivement des
Letord puis a fini la guerre sur des Spad. Ses actions d'éclats et ses deux
citations à l'ordre de l'armée lui vaudront l'attribution de la fourragère aux
couleurs de la croix de guerre 14-18.
Pendant l'entre-deux guerres, l'escadrille confirmera son
rôle de reconnaissance et sera alors affectée au groupe de reconnaissance I/35.
Effectuant des missions à long rayon d'action en territoire ennemi sur des
appareils de type Martin Bloch 131 pendant la campagne de France, la MF20
perdra de nombreux appareils face à la chasse allemande. L'armistice amènera la
dissolution de l'unité en juillet 1940 dans le sud de la France.
Une unité importante
dans la Guerre Froide
Recréée en 1964 sur la base de Lahr Hugsweier, l'escadrille
électronique (EE) 00.054 prend rapidement l’insigne et les traditions de
l’escadrille 20. Le nom de « Dunkerque » lui est alors attribué. Unité du
commandement du transport aérien militaire (COTAM) mise pour emploi auprès du
1er commandant aérien tactique (CATAC) puis de la force aérienne tactique/1ère
région aérienne (FATAC/1ère RA), elle mènera de nombreuses missions de recueil
le long des couloirs de Berlin.
Cette dernière utilisait déjà les premiers avions de guerre
électronique, la mission de l’escadrille Dunkerque ne devait pas changer. Les
débuts sont un peu « folkloriques » car les pilotes utilisent des C47
Dakota, les mêmes appareils qui avaient parachuté les troupes alliées sur les
plages du débarquement et que l’Armée de l’Air faisait voler avec quelques
appareils allemands confisqués au sortir de la guerre. Les C47 étaient de
véritables bêtes de somme : transport de personnels et de matériels,
largage de parachutistes. Pour l’EE 54, ils étaient bardés de matériel
électronique pour mener des missions de renseignement. On imagine bien le
profil demandé aux navigants : maîtriser au moins deux langues, l’allemand
et le russe... Tous les scenarii des militaires le prévoient alors: en cas
de guerre, des colonnes de blindés venues d’URSS déferleront sur l’ouest,
autant veiller à la frontière. Et puis le souvenir de la crise de Cuba, en
1962, est encore vivace... L’Armée se modernisant, l’escadrille reçoit vite
trois NORATLAS avec la même mission. Ces appareils, plus modernes, étaient bien
connus des Français, ils les avaient vus larguer les parachutistes en Algérie.
Dans l’EE54, les NORATLAS sont bardés d’antennes et prennent le nom de Gabriel.
Retour en France
Deux ans
plus tard, en 1966, l’unité est transférée à Metz-Frescaty, sur la Base
Aérienne 128 « Lieutenant-Colonel DAGNAUX ». Nouvelle base et
nouvelles missions car depuis Metz, l’EE 54 se spécialise dans la guerre
électronique en plus de l’écoute, avant tout vers l’Europe de l’Ouest, le
couloir de Berlin, seul espace aérien de l’ex-Démocratique d’Allemagne ouvert
aux avions occidentaux et vers la Baltique, où croisent toute l’année les
navires soviétiques, dont les fameux chalutiers russes pêchant plus le
renseignement que le poisson... L’EE 54 devient alors un maillon essentiel de
toute une chaîne de renseignements qui comte de nombreuses stations d’écoute au
sol. Au plus fort de son activité, il aligne jusque huit Noratlas Gabriel...
Ses missions sont d’une telle importance que l’escadrille monte en puissance
pour devenir escadron en 1987...
le Transall Gabriel, monture de l'EE 54
Le
« Dunkerque » se modernise en 1989. Les Noratlas sont de bons
appareils mais comme tout matériel, un entretien sérieux n’empêche en rien leur
vieillissement. La nouvelle épine dorsale du transport militaire est constitué
par les C160 TRANSALL.
Deux exemplaires du TRANSALL Gabriel, plus performant,
plus sophistiqué, remplacent alors les vieux Noratlas et l’escadron devient
escadre, menant toujours les mêmes missions de renseignement et de guerre
électronique...
Au cours de l’été 2011, la redéfinition de la carte
militaire amène l'EEA « Dunkerque » à quitter ses terres messines, sur
lesquelles il était implanté depuis 44 ans, pour rejoindre la base aérienne 105
d'Evreux.
Seul bémol quand on a la chance de croiser ces appareils
forcément discrets, l’insigne n’est pas celui de la cité de Jean Bart mais un
lion d’argent sur fonds d’azur mais qui ira chipoter ?