LE RECENT RAID DES SOUS-MARINS FRANÇAIS
In revue « Armée et Marine », 5 novembre 1908
On s’est beaucoup occupé ces derniers temps de la croisière
Cherbourg-Brest-Dunkerque-Cherbourg, effectuée par nos nouveaux sous-marins et
qui représente un total d’environ 700 milles. Il y a vraiment là une
performance remarquable à enregistrer et qui montre que nos flottilles ont une
endurance suffisante. C’est, en effet, une qualité indispensable pour des
bâtiments de ce genre et le voyage qu’ils viennent d’effectuer montre que nos
sous-marins et submersibles sont e mesure d’aller opérer sur les côtes
anglaises, fermer le Pas-de-Calais ou se mettre en vedette au cap Sully,
suivant les nécessités de la situation.
L’Emeraude, du
type dit sous-marin, a effectué la
première, la randonnée d’épreuve analogue à celle de l’Opale l’année dernière. Ces sous-marins sont des navires de 400
tonnes filant 12 nœuds au maximum et pouvant franchir environ 900 milles ;
en effet, après leur voyage, il leur restait encore à bord à peu près 3.000
litres d’essence, ce qui leur assurait un rayon franchissable supplémentaire de
200 milles en plus des 700 déjà effectués. La vitesse moyenne a été de 8 nœuds 30.
L’équipage, enfermé pendant tout le trajet, est rentré assez fatigué, mais
néanmoins tout à fait en mesure de continuer encore longtemps son service. Nous
possédons encore actuellement 4 navires de ce type achevés : Emeraude, Rubis, Opale, Saphir ; la Topaze et la Turquoise,
qui complètent la série de six, ne tarderont pas à entrer définitivement en
escadre.
Le 7 octobre, les submersibles
Pluviôse, Ventôse, Germinal ont pris à leur tour la mer
pour subir la même épreuve. Leurs machines à vapeur, dont les chaudières sont
chauffées au pétrole, se sont remarquablement comportées ; mais il semble
que leur rayon d’action doive être un peu moins étendu que celui des Emeraude. Néanmoins
leur action serait très probablement plus efficace en ce sens que, naviguant
très longtemps en surface et ne s’immergeant qu’à la dernière extrémité, les
hommes de l’équipage peuvent monter se reposer à l’air vif de la pleine mer et
garderont plus de force physique, par suite un moral plus solide pour le moment
de l’action. Dans quelques mois (un an ou 18 mois au plus), nous aurons en
escadre 12 bâtiments de ce genre, plus une vingtaine de la série Q à peu près
analogues.
Si on ajoute à cela la série des submersibles Circé, Cigogne, etc., et celle des sous-marins antérieurs à l’Emeraude, nous arrivons pour fin 1908 à
supputer les effectifs suivants : grands submersibles, 10 environ ;
submersibles anciens, 5 ; grands sous-marins, 14 ; petits
sous-marins, 24.
C’est là une force très remarquable… à condition d’être bien
employée. Les récentes expériences viennent de prouver que nous pourrons sans
crainte affecter ces flottilles à des opérations d’assez grande envergure et
nettement offensives et il nous restera toujours assez de petites unités pour
la défense immédiate de notre littoral. Mais il ne faut pas nous faire d’illusions
sur la valeur de l’épreuve d’endurance qui vient d’être réussie. Elle s’est
faite par un temps très maniable, et il faudrait qu’on pût la répéter par
grosse mer. La chose a été tentée et réalisée en Amérique l’hiver dernier. Par
grosse mer très dure et par un temps froid de 10 degrés en dessous de zéro
accompagné de tourmentes de neige, cinq sous-marins ont effectué, entre New York et la Cheasapealle, un voyage d’aller et retour représentant environ 600
milles. Les navires en question sont des sous-marins proprement dits, c’est-à-dire
à très faible flottabilité, et dont l’avant, presque complètement immergé, n’est
pas favorable à une très bonne tenue à la mer, et surtout à une bonne
habitabilité. Malgré de multiples incidents et accidents, tous les navires ont
réussi leur raid. Il faudrait savoir si les nôtres sont en mesure d’en faire
autant, et c’est là la plus prochaine épreuve à leur imposer : elle nous
apprendra si nos flottilles sont utilisables par tous temps.
En novembre, des expériences comparatives vont être
entreprises entre un groupe de 4 Emeraude,
type de l’ingénieur Maugas et 3 Pluviôse,
type de l’ingénieur Laubœuf ; elles porteront sur la rapidité de plongée,
la plongée sous vapeur, la tenue au large par gros temps, les conditions de
tenue de l’équipage. Nul doute qu’on en tire le plus grand profit pour les
constructions à venir.
Mais il est une chose à perfectionner entre toutes : l’art
du lancement de la torpille qui donne encore aujourd’hui de trop nombreux
déboires ; il faut arriver à ce résultat que toute torpille lancée arrive
au but. De récents perfectionnements en ont fait une arme plus redoutable que
jamais en augmentant sa portée et sa charge offensive de fulmi-coton ; la
grosse question est donc la précision du tir et ce n’est que par de très
fréquents exercices qu’on peut espérer arriver à de bons résultats. Ce tir est
surtout difficile pour le sous-marin obligé de tenir compte de multiples causes
de déviation de son engin destructeur. La France, qui a été la créatrice de la
nouvelle arme, doit faire les plus grands efforts pour rester la première dans
l’art de s’en servir.