In Guides illustrés Michelin des Champs de
bataille (1914-1918) - Arras et les batailles d'Artois - Michelin et Cie,
Clermont-Ferrand, 1920
Ablain-Saint-Nazaire est dominé
au nord par l'éperon de Notre-Dame-de-Lorette. Un chemin qui ouvre à côté de
l'église paroissiale conduit à l'endroit où était la chapelle de ce nom, sur la
côte 165. On le prendra; au bout de 500 mètres environ, il n'est plus
accessible aux voitures. Continuer à pied pour faire la visite, qui s'impose,
du massif de Lorette. De l'endroit où l'on quitte la voiture on peut suivre des
yeux, à gauche le sentier qui grimpe obliquement vers la crête dans la
direction de la chapelle. Plus à droite, on aperçoit un boyau qui monte presque
perpendiculairement et, dont se détache, vers le sommet, une tranchée. Cette
tranche se dirige à droite vers la pente orientale du massif, d'où l'on voit le
mieux le panorama des champs de bataille. On montera par le sentier de la
chapelle et l'on redescendra par le boyau après avoir visité le plateau et
regardé le panorama.
La croupe de
Notre-Dame-de-Lorette est une longue arête de terrain qui s'étend d'ouest en
est, du bois de Bouvigny au nord de Souchez et s'avance en promontoire
au-dessus de la plaine de Lens jusqu'aux abords même de la région houillère. Au
sommet de sa partie orientale, près du point côté sur la carte 165, s'élevait
avant la guerre la chapelle de Notre-Dame-de-Lorette, lieu de pèlerinages
régionaux. Tandis que les pentes nord du plateau sont relativement douces,
celles du versant opposé sont très escarpées. Le massif détache successivement
vers le sud-est cinq contreforts abrupts et séparés par d'étroits ravins? Vu du
bas-fond d'Ablain-Saint-Nazaire, ils présentent la forme de "côtes de
Melon"; tel fut, du moins, le surnom que leur donnèrent les fantassins
français. Ce sont, de l'ouest à l'est, l'Eperon Mathis, le Grand Eperon,
l'Eperon des Arabes, l'Eperon de la Blanche Voie, et enfin l'Eperon de Souchez
qui domine à pic la sortie est d'Ablain-Saint-Nazaire et la sucrerie située sur
la route de Souchez. Dès le début de la guerre des tranchées, la 10e Armée
française chercha à enlever cette position.
En novembre 1914 et janvier 1915,
le 21e corps, commandé par le général Maistre, prit pied sur l'Eperon Mathis.
Le 15 mars 1915, après une lutte des plus violentes, il s'empara de l'éperon
suivant ou Grand Eperon, défendu par trois lignes successives de tranchées et
le conserva en dépit de contre-attaques acharnées qui dégénérèrent en corps à
corps furieux. Le mois suivant enfin, le troisième éperon (des Araces) fut
enlevé.
Après ces attaques préliminaires,
se déclencha le 9 mai, l'offensive d'Artois. Le corps du général Maistre reçoit
la mission de chasser l'ennemi des deux derniers éperons du massif et d'enlever
la crête supérieure portant près de son rebord est la chapelle de Lorette, dont
les premières tranchées françaises sont encore distantes d'environ mille
mètres?
L'organisation allemande est
formidable. De l'Eperon des Arabes à la route de Souchez à Aix-Noulette (N. 37)
qui court au bas des pentes nord-est de la colline, s'échelonnent cinq lignes
de tranchées profondément creusées, renforcées six mois durant de sac de terre
et de sac de ciment, couvertes par des réseaux doubles ou triples de fils de
fer et de chevaux de frise. De cent mètres en cent mètres, des barricades
forment de puissants flanquements garnis de mitrailleuses. Plusieurs fortins et
des ouvrages avancés servent de points d'appui aux défenses de ces tranchées.
L'un d'eux, au nord-est de la chapelle, interdit l'accès de l'extrémité du
plateau; il comprend des fossés, des grilles, des casemates et des abris de dix
mètres ou plus de profondeur.
Une division d'élite, composée en
majeure partie de Badois, a ordre de garder, coûte que coûte,
Notre-Dame-de-Lorette, tandis qu'en arrière est dissimulée dans l'énorme
agglomération d'Angres et de Liévin, une puissante artillerie, balayant d'un
feu continu tout le flanc nord de la colline et le plateau lui-même.
La division du général Maistre,
chargée de l'attaque, comprend trois régiments d'infanterie et trois bataillons
de chasseurs.
Le 9 mai, à dix heures, les
premières vagues d'assaut s'élancent, deux heures après, elles ont enlevé trois
lignes de défense et sont parvenues au réduit de la position, devant le fortin
de la chapelle, où, derrière un entassement de sacs à terre et d'épais
blindages, les mitrailleurs allemands tirent sans discontinuer. L'attaque se
brise devant cet ouvrage formidable. Les unités subissent des pertes graves,
certaines compagnies ne sont bientôt plus commandées que par des sergents. La
progression s'exécute par bonds d'un trou à obus à un autre. D'énormes réseaux
de chevaux de frise, qui précédent dans un repli du terrain le fortin, sont
restés à peu près intacts. Les chasseurs cependant ne reculent pas. Décimés,
ils s'accrochent au sol tandis que les fantassins les rejoignent. On se bat à
coups de grenade, de baïonnette, même à coups de couteau, tandis que les
mitrailleuses allemandes ne cessent de tirer.
La nuit tombe, dit le récit
officiel, éclairée par les obus et les fusées, déchirée par les cris des
blessés, le fracas des explosions, le claquement des balles. Chasseurs et
fantassins s'installent comme ils peuvent sur le terrain. Devant un énorme
entonnoir de mine de 80 mètres de tour, ils poussent au fond les cadavres
allemands et s'organisent sur les bords, derrière des parapets improvisés.
Du 10 au 12 mai, la situation
reste la même. Les Français conservent tous leurs gains, les étendent même
légèrement, tandis que les mitrailleuses allemandes tirent sans répit. "Il
fait chaud et l'odeur est atroce. Tous les morts précédents des mois
précédents, enterrés à fleur de terre, ont été projetés par les obus hors de
leurs tombes. Le plateau est un charnier..." enfin, le 12 mai, à la nuit,
les chasseurs bondissent, en se courbant, hors de leurs retranchements, puis se
jetant à plat ventre, rampent jusqu'au fortin. Là, sous les mitrailleuses qui
tirent à 75 centimètres au-dessus d'eux, ils arrachent des sacs de terre et,
les appliquant sur les créneaux, ralentissent le tir ennemi. Les unités
suivantes, profitant de cette accalmie, accourent et le flot passe par-dessus
le parapet. A l'intérieur du fortin, dans la nuit épaisse, un corps à corps
forcené s'engage. La chapelle effondrée est dépassée. Autour, c'est un
inextricable enchevêtrement de souterrains, d'entonnoirs, de trous d'obus
bourrés de cadavre et de matériel. Devenus ainsi maîtres de la crête du plateau
de Lorette, les Français ne tiennent cependant pas encore le massif en son
entier. Les Allemands résistent toujours sur les deux éperons de la
Blanche-Voie et de Souchez. La pluie et les nombreuses sources prenant
naissance sur la hauteur ont transformé ce terrain argileux en une boue
glissante où la progression est particulièrement malaisée. Pourtant l'éperon de
Souchez est peu à peu conquis les jours suivants jusqu'au point où il domine la
sucrerie de Souchez. Par contre, des feux terribles de mitrailleuses brisent
toutes les attaques contre la Voie-Blanche. Jusqu'au 20 mai, la ligne française
décrira un vaste demi-cercle depuis l'ouest d'Ablain-Saint-Nazaire jusqu'aux
flancs de l'éperon Est, en contournant l'autre contrefort. Huit jours durant,
tapis dans leurs retranchements de la Blanche-Voie et dans les maisons qu'ils
tiennent encore au nord et à l'est d'Ablain, les Allemands mitrailleront sans
arrêt les lignes françaises tandis que les batteries d'Angres et de Liévin
dirigeront tous les feux sur le haut du plateau.
Le 22 mai enfin, après deux
journées de furieux combats, les tranchées de la Blanche-Voie sont emportées et
tout le massif de Notre-Dame-de-Lorette, sauf le bas des pentes de l'éperon de
Souchez, est occupé. La lutte a duré treize jours. De part et d'autre, les
pertes ont été très élevées. Sur le terrain même, 3.000 cadavres allemands ont
été dénombrés. A la date du 11 juillet 1915, le général d'Urbal, commandant la
10e Armée, cita en ces termes à l'ordre de l'Armée le 21e corps, ainsi que les
48e et 58e divisions : "Sous le commandement du général Maistre, ont fait
preuve, au cours d'attaques renouvelées, pendant plusieurs semaines
consécutives et sous un bombardement intense et continu, de jour et de nuit, de
l'artillerie ennemie, d'une ténacité et d'un dévouement au-dessus de tout
éloge."
Lorsque, venant
d'Ablain-Saint-Nazaire, on atteint la crête du massif de Lorette, on découvre
un plateau entièrement dénudé. Le sol ne forme qu'une succession d'entonnoirs
et de trous d'obus où ne subsiste aucun vestige intéressant des anciennes
organisations allemandes.
Quant à la chapelle, quelques
assises de pierre formant le soubassement d'un de ses murs en révèlent seules
l'emplacement que deux abris en tôle ondulée permettent de reconnaître à
distance. Dans l'un de ces abris sont réunis trois statuettes retrouvées dans
les décombres lors des déblaiements de la position.
De là, on gagne, à droite, à 800
mètres environ, la pente orientale d'où l'on embrasse un vaste horizon : dans
le bas, les ruines informes de l'église et des maisons d'Ablain-Saint-Nazaire;
derrière, celles de Carency, et au loin, les tours tronquées de
Mont-Saint-Eloi; à gauche Souchez, et au-delà, les peupliers clairsemés qui
bordent la route de Béthune à Arras; plus à gauche encore, dans le fond, une
masse confuse de ruines: Angres, Liévin, Lens.
Après la visite de
Notre-Dame-de-Lorette, 0n regagnera Ablain-Saint-Nazaire pour prendre, devant
l'église, la route de Souchez, bordée au sud par le ruisseau de la
Saint-Nazaire. Le terrain est complétement ravagé: c'est une succession sans
fin de trous d'obus qui chevauchent les uns sur les autres. A mi-chemin, in
apercevra à droite, à côté d'un cimetière militaire, un entassement de cuves
effondrées, crevées par la mitraille et oxydées par la pluie.
C'est tout ce qui
subsiste de la Grande Sucrerie de Souchez qui fut transformée par les Allemands
en un formidable point d'appui barrant l'accès de Souchez. Atteinte dès le 15
mai par les Français, elle ne peut être emportée que le 30, après deux journées
d'âpres combats; dans la nuit suivante, les Allemands réussirent même à en
prendre possession; ils en furent de nouveau et définitivement chassés au point
du jour. De furieuses contre-attaques lancées au cours du mois de juin
restèrent vaines et ne firent que grossir le nombre des cadavres recouvrant
déjà le terrain.
300 mètres après la Sucrerie, on
arrive aux lisières ouest de Souchez, et à droite de la route, on aperçoit
quelques grands arbres déchiquetés se dressant au-dessus d'un sol bouleversé et
marécageux. Là s'élevait avant la guerre, au milieu d'un vaste parc, le château
de Carleul (moderne), construit près des ruines d'un ancien château entouré
d'eau. Puis on entre dans Souchez.
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