Au départ, je ne devais écrire qu'un seul mot : "dégueulasse"... ni plus, ni moins... mais le sentiment qui reste six jours après a du mal à s'estomper... Il est vrai que le climat politique français devient un marigot infect et semble s'étendre à nombre de couches de la société, comme si cette dernière entrait en une véritable phase de décadence...
Le 11 novembre est une date sacrée, autant que ne l'est le 14 juillet ou le 8 mai... C'est le moment du souvenir non point de combats mais de sacrifices qui souvent auraient pu être évités ou atténués... Si le roi avait accepté les concessions et le parlementarisme, nous aurions point versé dans la Terreur et ses excès, si le 8 mai a pu voir la reddition du IIIe Reich, c'est que nombre d'états ont fait alliance alors que tout les opposait et que dans beaucoup de pays, certains ont sur faire l'impasse sur leurs antagonismes politiques pour combattre ensemble ou que d'autres ont pris des risques individuels aux choix souvent fatals... mais le 11 novembre... quelle honte que d'avoir vu ce qui s'est passé cette année sur les Champs Elysées et devant la tombe du soldat inconnu !
car finalement, en huant, en sifflant le Président de la République, c'est toute la Nation que l'on insulte et que l'on conspue car il ne se rendait pas devant la flamme du tombeau sous l'Arc de triomphe pour une oeuvre politique mais pour etre le point central de toute une nation, dont les contours ont évolué en une centaine d'années...
Ce qui choque d'abord, c'est l'activisme de certains manifestants issus en large part, ce jour-là, d'une droite extrême... Curieux de la part de groupuscules qui a politiquement monté son fond de commerce idéologique sur le militarisme, le souvenir des guerres, et s'est longtemps adressé aux anciens combattants.. mais le temps passe et il est certain que le nombre d'anciens combattants s'amenuise, même pour les combats d'Afrique du Nord...
Mais le 11 novembre dépasse les simples faits militaires. Siffler, huer, conspuer, insulter, menacer lors de cette manifestation c'est une insulte au peuple et à la nation... Une nation dont je me bornerai à rappeler que les théoriciens français Fustel de Coulanges et Renan en tête la définissait comme une communauté dont le plus petit dénominateur commun était la volonté d'y vivre, d'en faire partie avec des valeurs communes.
C'est insulter la quasi totalité des familles de France et aussi, dans une large part celles des ressortissants de nos anciennes colonies (tiens ils étaient assez français pour revetir l'uniforme mais pas pour bénéficier des largesses de la République, pour preuve la cristallisation des pensions de guerre qui a tenu jusqu'une période récente).
C'est oublier les millions de morts, dont une bonne part sont encore portés disparus qui ont du sacrifier ce qu'ils avaient au profit des querelles d'état, des susceptibilités politiques, des exigences des industriels... Une guerre qui, en France, puisque c'est en France qu'a eu cette ignoble manifestation, nous a couté plus que les 1,397 millions de morts, il faut compter encore les blessés, les invalides, ceux qui ont perdu la raison (inaugurant timidement la pathologie des depressions post-traumatiques), des décès mécomptés parce qu'intervenus longtemps après par le fait des blessures ou des gazages... et des civils tombés sous les bombes et obus...
C'est oublier que lorsque les pères étaient au combat, les enfants ne pouvaient être conçus et feront défaut une génération plus tard, c'est oublier que les femmes ont pu prendre une nouvelle place dans la société, que l'on ne leur pas accordé la paix revenue... c'est oublier les veuves et les orphelins et une société forcément différente qui accoucha des combats... Un exemple : la féminisation du corps des instituteurs puisque nombre de ces derniers étaient ipso facto envoyés comme sous-officiers en première-ligne, au plus près des combats en raison de leur niveau d'instruction...
C'est, en sifflant et conspuant un Président dont on s'accorde à dire qu'il est devenu impopulaire dans les sondages (mais sont-ce les sondages qui font la politique à la place du vote?), insulter les agriculteurs dont la catégorie sociale a connu une saignée sans précédent (puisque l'équilibre en 1914 entre population rurale et urbaine existait enfin)...
C'est insulter LA TOTALITE du pays et de la nation, car si les destructions ne concernent qu'un gros quart nord-ouest de la France, les pertes humaines concernent toutes les communes et il n'est pas rare de trouver des stèles ne portant que quelques noms près de monuments entièrement gravés de patronymes, même dans les coins les plus reculés du pays... C'est insulter une population qui a connu les privations pendant les combats et qui les endurèrent longtemps après, le temps que l'économie se remette et que les zones dévastées soient remises en état, sans compter le retour des nombreuses populations déplacées qui souvent ne retrouvèrent rien en retournant chez eux... C'est publier les humiliations de certains comme les Flamands qualifiés, comme réfugiés à la guerre suivante, de "boches du Nord" à cause d'un imbécile journaliste parisien relatant la libération de Lille... C'est oublier que les privations endurées fragilisèrent tant les corps qu'ils furent les hôtes de bien des épidémies telles la "grippe espagnole" qui fit dans le monde plus de victimes que le conflit lui-même... C'est faire fi qu'aucune famille n'a été épargnée et que bien que la guerre ait commencé il y a 101 ans, on en parle encore souvent lors de certaines réunions familiales... et d'oublier aussi les sacrifices grandioses que nombres soldats, humbles le plus souvent dans le civil, ont du consentir !
C'est aussi oublier que les Allemands, dans le Nord de la France comme en Belgique eurent à subir une occupation plus dire (crimes raciaux exceptés) que celle qui suivit, lisez les témoignages des Lillois pour vous en convaincre, entre réquisitions, menaces, fusillades d'otages, disette et famines, humiliations, viols et enlevements de femmes pour servir les appetits sexuels de l'assaillant dans les bordels militaires de campagne et la déportation en masse de civils pour en faire autant d'otages. C'est faire l'impasse sur les populations jetées sur les routes, devenant des exilés dans leur propre pays ... C'est faire l'impasse sur la naissance de la Résistance, bien avant l'appel du 18 juin 1940... Promenez vous à Lille ou à Bruxelles, vous en serez édifiés...
L'offense faite au président ce 11 novembre 2013, c'est aussi jeter au front de la Nation les conditions de vie de nos "pious-pious" qui endurent bien des choses que ces siffleurs n'auraient le cran de subir, fut-ce une journée ou une semaine. A cela il ne faut pas omettre que la Grande guerre continue de tuer : combien de secteurs de combat sont encore gorgés de munitions actives et dangereuses, ont les conséquences sur l'environnement et la santé publique sont incalculables... Demandez au service de déminage d'Arras-Vimy, ils vous diront qu'en théorie nous en avons encore pour au moins un siècle de "nettoyage"...
Alors messieurs et mesdames les exaltés de la contestation, c'est la terre abreuvée du sang des innocents que vous insultez, c'est la communauté nationale dans sa entier que vous huez, mélangez tout et n'importe quoi dans un galimatias contestataire qui est pur ce qui est contre et contre ce qui est pour...
Alors permettez moi de dire que vos sifflets et vos cris m'ont touché, dans le sens négatif du terme, ils m'ont choqué et peiné car il est bien d'autres occasions de manifester et contester qu'en un moment sacré où toute la nation a payé un prix plus que déraisonnable ! et qui le paye d'ailleurs encore...
Au fait, quoique l'on pense du président actuel, n'oubliez pas que s'il est peu populaire, il n'en a pas moins été élu démocratiquement... Gambetta disait que lorsque le peuple a parlé, il faut se soumettre ou se démettre. Des cris et des vociférations ne sont pas des élections... Vous ne choisissez pas la bonne méthode, celle que vous dédaignez qui est la voie des urnes... Parlez de démocratie certes, mais n'agissez pas en terroristes. Il y aura des échéances électorales, il y aura des présidentielles, usez de vos droits mais arretez d'insulter le peuple... Vos gesticulations en un jour sacré sont une insulte aux citoyens, aux électeurs, aux hommes et femmes de ce pays...
Ainsi, pour moi, comme Sacha Guitry l'a fait dire à Napoléon, s'adressant à de Talleyrand-Périgord, rien que que pour tout cela : "vous etes une merde dans un bas de soie"...