mercredi 18 février 2015

Saint-Ladron, le « canonisé malgré lui »



In Claude Malbranke, « Guide de la Flandre et de l’Artois mystérieux », 2e édition, éditions TCHOU, collection « les guides noirs », Paris, 1969, 479 pages, p. 135

L’histoire de saint Ladron, le « canonisé malgré lui », a été racontée par Verly dans ses Contes Flamands.
Le 1er mars 1799, la Bande noire des révolutionnaires s’était attaquée à l’église d’Autreville (NDLR : il faut plutôt lire Antroeuilles, où se trouvait la motte des Anneaux), sur le territoire d’Avelin ; en une vingtaine de jours, l’édifice fut abattu ; il ne restait qu’à défaire le pavé de dalles et de mosaïques. C’est alors que se manifesta l’intervention divine. Tandis que les démolisseurs essayaient de soulever une dalle, plus grande et plus lourde que les autres, cette dalle glissa, éventra un cercueil et blessa trois des ouvriers…
 
Le cercueil en question était d’un  bois rare, aujourd’hui vermoulu ; il comportait une enveloppe de plomb ; quant au cadavre, c’était celui d’un vieillard à la barbe vénérable et vêtu d’une armure rongée de rouille. Les gens d’Avelin crièrent au prodige. Ils se prosternèrent devant le cercueil, puis se précipitèrent sur lui pour le mettre en pièces et en faire des reliques : les vêtements et les ornements du trépassé furent partagés. Ce fut du élire. Des processions arrivèrent de partout pour voir le corps du bienheureux, ainsi préservé de la pourriture. Bien de vieilles défroques, n’ayant même pas touché le « saint », furent ainsi vendues, parfois très cher…
 
Pour éviter d’autres débordements, les administrateurs du district de Seclin firent inhumer une seconde fois le cadavre et sur la nouvelle tombe, reproduire la seule partie qui était lisible sur la grande dalle usée : SLADRON ; immédiatement, les populations crurent y reconnaître le corps miraculeusement retrouvé de saint Ladron.
 
Les processions recommencèrent de plus belle, on vint de Douai, d’Arras, de Dunkerque, de Lille, de Tournai. On servait le « saint » pour guérir de certaines maladies (stérilité, stropiats, nouure), pour obtenir un descendant de sexe masculin, pour guérir les bestiaux, pour obtenir de bonnes récoltes. Trente et une fois, les gens exhumèrent son corps pour le voir, le toucher, le baiser. Les autorités décidèrent alors de faire transférer son corps au cimetière d’Avelin ; les passions se calmèrent.
 
Or, quelque vingt ans plus tard, un archéologue, inquiet de ne trouver aucun saint Ladron dans le martyrologe romain, reprit les recherches ; il est aujourd’hui certain que le trépassé mis au jour par les pioches des révolutionnaires en 1799 n’était autre que « haut et puissant homme don Luis Ladron de Guervara, mestre de camp, gouverneur d’Ostende pour sa majesté Catholique le roi de toutes les Espagnes, époux de noble dame Charlotte Allegambe, du Vertbois, d’Autreville, Marque-en-Pévèle et autres lieux », dont Strada et Brantôme parlent dans leurs récits : né à Anduxar, il périt, âgé de quatre-vingt ans au combat de Nieppe, le 8 avril 1639, « ayant un biscaïen dans l’épaule, une mousquetade dans le dos et trois grands coups de rapière en travers de la tête ».
 
On a longtemps caché aux bonnes gens d’Avelin la vérité sur leur prétendu saint, et on prétend qu’on a vu certaines névroses disparaître subitement après une neuvaine sur la tombe du maître de camp espagnol…

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